Nos vies valent plus que leurs profits

Progrès et hypocrisie des lois « fin de vie »

Les députés viennent d’adopter les deux lois sur la « fin de vie » : l’une sur « l’aide à mourir », élargissant les conditions de fin de vie encadrée médicalement, l’autre sensée dédier davantage de moyens aux soins palliatifs. Reste le barrage du Sénat, dominé par la droite, qui les examinera à l’automne. Or, si le projet initial a été scindé en deux, c’est pour permettre aux députés de droite de mieux voter la seconde sans voter la première, mais c’est aussi pour faire mine de donner les moyens aux services de soins palliatifs. Vaste hypocrisie.

Décider de son sort… et en avoir les moyens

Car oui, autoriser que chacun puisse décider de sa fin de vie c’est aller contre les forces réactionnaires et religieuses qui pèsent sur la société, et pour lesquelles le suicide est encore considéré comme un péché. C’est aller contre tous ceux pour qui la destinée des êtres humains appartient à Dieu, et qui prêchent aux plus pauvres la soumission en échange de la promesse d’un paradis céleste. Bien au contraire, le sort de l’humanité ne dépend que d’elle-même, et s’il est bien difficile d’être « libre » dans cette société d’exploitation gouvernée par le profit, il reste la liberté de lutter pour arracher des conditions de vie meilleures. Alors, oui, avoir les moyens d’une fin de vie digne et de pouvoir en décider – comme de vivre dignement d’ailleurs – devrait être un droit élémentaire. Et en cela, légaliser l’euthanasie est un progrès… à condition, dans cette société régie par l’argent, d’en prévoir les garde-fous et de donner les moyens aux services de soin.

Pourtant, nombreux sont ceux qui s’y opposent. Une partie de la droite et l’extrême droite s’auto-proclament ainsi « pro-vie » pour combattre cette avancée – de la même manière qu’ils prétendent défendre la vie quand ils combattent l’IVG. Mais chez eux la valeur de la vie est à géométrie variable. Car ces derniers – ou leurs prédécesseurs – défendaient sans état d’âme les faits glorieux de l’armée française lorsqu’elle massacrait à tour de bras à Madagascar, en Indochine, en Algérie, en Afrique sub-saharienne ou ailleurs. Quant à la vie à Gaza aujourd’hui, elle n’a aucune valeur à leurs yeux.

Face à ces réactionnaires de tous bords, la loi a d’ailleurs été revue à la baisse. Elle va certes plus loin que la loi Claeys-Leonetti de 2016 qui permettait la sédation profonde jusqu’au décès dans des cas précis et seulement lorsque le pronostic vital est engagé à court terme. La proposition de loi actuelle crée la possibilité d’une « aide à mourir » pour les maladies incurables, à un stade avancé ou terminal, c’est-à-dire bien avant les derniers jours de vie. Mais les maladies neurodégénératives, par exemple, ne seront pas éligibles, car la loi n’autorise pas d’inclure la demande d’une « aide à mourir » dans les directives anticipées. En fait les concernés sont les malades de la SLA (maladie de Charcot), de cancers ou maladies graves, en stade terminal. Et on sait, pour qui travaille dans ces services, qu’une bonne prise en charge palliative des patients et de leurs proches, dès l’annonce du diagnostic, réduit les demandes d’euthanasie. Mais encore faut-il y avoir accès.

Misère des soins palliatifs

Les soins palliatifs, par opposition aux soins curatifs, désignent tous les soins qui ne traitent pas la maladie elle-même, mais ses manifestations pour améliorer le confort du malade, souvent en phase de fin de vie (douleur, difficulté à respirer, souffrance psychique, anxiété…). Mais, aujourd’hui, 70 % des patients qui en auraient besoin n’y ont pas accès. Du fait des déserts médicaux (21 départements ne disposent pas de services de soins palliatifs) et du sous-effectif de médecins et infirmiers spécialisés, mais également de psychologues, kinésithérapeutes, psychomotriciens… En cause donc, un sous-financement généralisé de la santé. Combien de soignants doivent gérer la fin de vie de patients, qui peut durer des jours, sans réels moyens d’apaiser, ni d’accompagner les proches, dans ces moments terribles ? Quelle liberté et quelle dignité dans la fin de vie quand les inégalités sociales y sont aussi fortes que dans la vie, et quand le système de santé est privé de tout moyen de fonctionner ?

Or, côté moyens alloués aux soins palliatifs, la proposition de loi ne va pas au-delà de l’affichage. Non seulement le montant d’un milliard sur dix ans promis pour ces services ne permettra même pas de rattraper le retard, mais, en plus, les députés qui le votent aujourd’hui sont les mêmes qui chaque année sabrent dans le budget de la santé et des hôpitaux… Ceux-là mêmes qui discutent déjà des coupes budgétaires à imposer dans le prochain budget à l’automne 2026, parmi lesquelles la baisse des indemnités journalières en cas d’arrêt maladie, l’augmentation du nombre de jours de carence, l’austérité salariale, les déremboursements…

Mourir dans la dignité… ou faute de mieux

Alors le tableau de la fin de vie dans la réalité quotidienne des hôpitaux n’est pas prêt de s’améliorer : des couloirs bondés aux urgences, des patients seuls, sous morphine, parfois à très forte dose, sans accompagnement ni soins élémentaires. Parce que la priorité managériale est au flux tendu, à l’optimisation des coûts, au séjour le plus court (aller-retours, déplacements incessants…). À l’Ehpad, c’est encore pire, l’affaire Orpea en 2022 a montré au grand public ce que les travailleurs des Ehpad dénoncent, souvent par la grève, depuis des années : le règne du chiffre et de la maltraitance, pour les plus grands profits de ce marché de la fin de vie, coté en bourse.

Dans la fin de vie, comme dans la maladie, ce sont les classes populaires qui paient le prix le plus fort. Les travailleurs et travailleuses sont plus exposés aux maladies chroniques et ne peuvent pas se payer des aides techniques, de quoi adapter leur quotidien ou accéder à un accompagnement de qualité. Ils payent le prix d’une société qui ne met pas les moyens pour que chacun vive correctement avec une maladie, et contrairement aux riches qui font fi des lois en pouvant, par exemple, changer de pays pour leur fin de vie, ce sont les classes populaires qui payent l’arriération des législations françaises. Elles le paient doublement, car le règne de l’argent fait planer la menace d’une incitation à la fin de vie pour les publics les plus isolés, tandis que le manque de moyens donnés aux services de soins prive de l’accompagnement nécessaire qui permettrait aux malades de mieux vivre. Pour assurer une dignité dans la mort – et dans la vie – pour tous et toutes, c’est toute la société qu’il faudra renverser !

Cécile Naquet et Hélène Arnaud

 

 


 

 

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