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Retraites, salaires, chômage : on ne crèvera pas pour le patronat ! Vers la grève générale !

La journée de mobilisation interprofessionnelle, de grèves et manifestations, du 19 janvier, contre le projet scélérat de report à 64 ans de l’âge de départ à la retraite et ce qu’il signifierait d’appauvrissement des classes populaires a été un immense succès. Largement au-delà d’un million dans les rues de plus de 200 villes et des cortèges proportionnellement plus massifs dans des villes petites ou moyennes : Saint-Jean-de-Maurienne, Guéret, Saint-Gaudens et tant d’autres… Partout, du « jamais vu depuis longtemps ». Rassemblements massifs de travailleurs du public et du privé. Cortèges souvent très ouvriers, très populaires et parfois en famille, de « primo-manifestants », de « primo-grévistes » aussi. On peut parler d’un raz-de-marée.

« Métro, boulot, caveau ? »

La grève a touché de petites comme de plus grandes entreprises, de façon exceptionnelle : un trafic SNCF quasiment à l’arrêt à Strasbourg et dans d’autres villes, de très gros taux de grévistes parmi les personnels de l’Éducation nationale et pas seulement les enseignants (un grand nombre de cantines fermées), des sites de TotalEnergies en grève à 70 % ou 100 %, des usines automobiles également à l’arrêt avec des appels à la grève de syndicats pourtant réputés peu combatifs. Ont participé à ce mouvement des travailleurs de secteurs ou branches où le boulot est pénible et qui n’imaginent pas tenir deux ans de plus, comme le BTP ou l’agro-alimentaire, mais aussi des techniciens et employés de bureau qui affirment qu’ils ne tiendraient pas non plus « avec sur le dos des chefs psychopathes ». Et ne parlons pas des personnels des Ehpad, qui devraient prendre leur retraite… à l’âge où certains commencent à y entrer ! Un immense cri de révolte contre l’hypocrisie de Macron – particulièrement détesté – qui parle d’allonger encore les vies de travail (en fait de baisser encore le montant des pensions) alors que ses amis patrons se débarrassent de bien des seniors, pour des raisons de profits maxima, avant qu’ils aient l’âge de la retraite. Au-delà de la colère contre l’indignité et l’injustice du projet de réforme des retraites de Macron, c’est le ras-le-bol collectif du monde du travail contre la dégradation de ses conditions de vie et de travail qui s’est spectaculairement exprimé, d’où des formules et slogans « chocs » : « On ne crèvera pas pour le patronat », « Métro, boulot, caveau », et aussi « J’ai envie que le monde change ». Bref, une mobilisation d’une autre nature que les précédentes, y compris celle de 2019-2020 : mobilisation plus politique que « revendicative », exigeant de « vivre et pas survivre » (comme l’avaient fait déjà les Gilets jaunes), posant des problèmes de fond sur la société, dont celui du temps de vivre. Posant aussi le scandale des inégalités criantes, entre grosses fortunes et classes populaires dans la dèche. Le nouveau rapport de l’ONG Oxfam sur les inégalités en 2022 venait à point pour le confirmer : « La fortune des milliardaires dans le monde a plus augmenté en 19 mois de pandémie qu’au cours de la dernière décennie […]  Le monde compte un nouveau milliardaire toutes les 26 heures, alors que 160 millions de personnes sont tombées dans la pauvreté  […]  Avec les 236 milliards supplémentaires engrangés en 19 mois par les milliardaires français, on pourrait quadrupler le budget de l’hôpital public  […]  Enrichissement historique des milliardaires tandis que, dans le même temps, la crise a provoqué une intensification de la pauvreté chez celles et ceux qui étaient déjà en difficulté avant la pandémie. »

La grève aux grévistes

En contraste avec le raz-de-marée de cette mobilisation marquée aussi par la participation de jeunes, la situation a accusé un net déficit de participation à des assemblées générales et piquets de grévistes. Les difficultés pour se déplacer, du fait de la profondeur de la grève elle-même, en étaient certainement une cause, mais pas la seule. À noter, un peu partout et tout particulièrement à la SNCF et dans l’éducation, une politique des directions syndicales, nationales et locales, n’incitant pas à des assemblées, voire souvent les refusant là où pourtant, dans les luttes précédentes, elles étaient de rigueur. Pour quelle raison, si ce n’est pour permettre aux appareils syndicaux de garder le contrôle de la situation ? Pour ne pas en céder une miette aux grévistes, privés ainsi de discuter entre eux des revendications, de décider entre eux des modalités de lutte ? « Une très belle journée dont on sort un peu bredouille », cri du cœur et déception de la journée pour les militants attachés à la démocratie ouvrière, au besoin des travailleurs en lutte de s’organiser pour être maîtres de leur mouvement. Or, sans les assemblées générales qui sont le socle de cette démocratie ouvrière, les victoires sont inévitablement plus compromises. Mais rien n’est insurmontable. L’élan énorme de cette journée fait qu’elle a été ressentie par des centaines de milliers de travailleurs et de jeunes comme le début d’une épreuve de force ne pouvant pas rester sans lendemain.

Calculs des directions syndicales et politiques

Du côté des directions syndicales, qui se sont réunies en intersyndicale au soir du 19 janvier, c’est donc le 31 janvier qui a été fixé pour le prochain rendez-vous interprofessionnel, alors que beaucoup de travailleurs attendaient la date du jeudi 26 janvier, plus proche, annoncée dans un calendrier de la Fédération CGT de la Chimie et qui semblait recueillir quelque assentiment. Des appels demeurent et existent d’ailleurs à faire grève le 26 janvier, de certains secteurs syndicaux de la CGT (dont celui des raffineurs qui envisageaient deux jours de grève à partir de ce 26 janvier, puis 72 heures à partir du 6 février, date de l’examen au Parlement du projet de loi). De leur côté, des syndicats de l’éducation nationale (Sud-Éduc, CGT), certes minoritaires, appellent à la grève à partir du 31 janvier. À partir du 26 ou à partir du 31 ? Ces dates ou calendriers lancés certes à ce stade de façon un peu désordonnée, présentent l’avantage d’être discutés entre travailleurs et dans des milieux syndicaux combatifs comme points de départ pour une vraie grève, illimitée et qui se généralise. À juste titre, car c’est la direction d’une grève générale qu’il faut prendre. Ces dates et calendriers peuvent aider à populariser la perspective d’un nécessaire mouvement général, voire à en donner le signal de départ, jusqu’à ce que des structures démocratiques de base (« auto-organisées ») prennent le relais.
La CGT sous la direction de Martinez s’est peu ou prou excusée de cette date du 31 janvier, en invoquant l’unité nécessaire avec la CFDT qui aurait fait pression dans le sens d’une date plus tardive. Force est de constater que ça laisse à Macron le temps de souffler, laisse aux directions syndicales et politiques elles-mêmes le temps d’accuser le coup d’une mobilisation qui, de l’aveu de Laurent Berger de la CFDT, est « au-delà des espérances ». Derrière la formule, on peut entendre aussi et probablement quelques problèmes de contrôle, pour la suite, d’un mouvement qui sort des cadres habituels.

La gauche politique de son côté s’est montrée dans les manifestations. Jean-Luc Mélenchon à Marseille, Fabien Roussel et Olivier Faure à Paris, entourés d’écharpes tricolores de députés. À noter le discours on ne peut plus réformiste et timoré de Fabien Roussel, qui voudrait bien que Macron ne crée pas de situation ingérable : « Je souhaite un débat pacifié, serein dans le pays » […] « Il faut réparer les inégalités, il est possible de répartir les richesses plus justement » […] « Avec mes amis et collègues parlementaires, nous travaillons à un projet juste de réforme des retraites » (interview par BFM-TV à 13 heures 40 place de la République). Et le PCF met en avant la perspective d’un référendum sur les retraites qu’il demande à Macron d’organiser. Suivi par Olivier Faure du Parti socialiste. Suivi par la France insoumise. Et quand tout ce beau monde insiste sur la difficulté de faire grève aujourd’hui, de perdre encore des journées de salaires déjà insuffisants, certes indéniable, on ne peut pas s’empêcher de penser que c’est une façon de pousser en avant leur perspective institutionnelle de référendum. Moins coûteux, un référendum ? Décisive, une prétendue bagarre au Parlement ? Fiables, les solutions institutionnelles de la Nupes et de cette gauche dite nouvelle ? Attention en tout cas, à ne pas abandonner l’arme de la grève et des manifestations de masse pour la chimère d’une solution institutionnelle !

Tous ensemble, contre Macron et les patrons !

Reste que la journée du 19 janvier, formidable test de l’opposition du monde du travail à la réforme scélérate des retraites, est un énorme point d’appui pour la suite, que le monde du travail qui a relevé la tête doit préparer en multipliant les contacts, les réunions, les discussions sur tous les aspects de la situation. La prochaine échéance est donc celle du 31 janvier, si elle n’est pas balayée par ce qui pourrait surgir avant. Les militants révolutionnaires, qui sont aussi militants syndicaux, doivent persévérer dans leur politique d’encouragement à des manifestations toujours plus massives mais aussi et surtout à une vraie grève, comme d’encouragement des grévistes à s’organiser eux-mêmes (« c’est nous qui luttons, c’est nous qui décidons »), à tous les niveaux : comités de grève ou de mobilisation, coordinations ou assemblées interpro de grévistes. Il faut favoriser tous les contacts et toutes les convergences, entre travailleurs du public et du privé, de petites et plus grosses entreprises, il faut rompre tous les isolements. La mobilisation spectaculaire du 19 janvier a montré que l’aspiration au « tous ensemble », et à un « tous ensemble en lutte », était profonde. Le plus vite possible, toutes et tous ensemble en grève générale, oui !

Michelle Verdier