Contre les licenciements et fermetures, beaucoup en appellent à l’État et à la loi. Des syndicalistes réclament une « loi GM&S », par exemple, pour faire reconnaître la responsabilité du donneur d’ordre dans la liquidation du sous-traitant, une loi qui aurait le nom de l’usine de La Souterraine (Creuse) qui, en 2017, s’était vue privée de commandes surtout par Stellantis. L’usine a supprimé plus de 500 emplois, les 82 salariés qui restent n’ont aujourd’hui aucun espoir de sauver le leur. Mais réclamer une loi ne suffit pas pour l’imposer et beaucoup de députés voudraient nous faire croire que les majorités sont plus utiles entre parlementaires que la coordination des luttes entre ouvriers menacés…
De fait Stellantis reconnaît déjà sa responsabilité dans la fermeture de MA France puisqu’il négocie indirectement des conditions de départ qui n’en sont pas moins inacceptables (15 000 euros d’indemnités supra-légales en échange de la promesse de ne porter plainte ni contre Stellantis ni contre MA France) et que l’écrasante majorité des ouvriers a refusées.
Disons-le d’abord : aucun mot d’ordre ou « bonne revendication » ne peut à elle seule remplacer le rapport de force qui ferait reculer patronat et gouvernement. Car tout le problème des mots d’ordre que se proposent les ouvriers menacés par des fermetures et suppressions de poste est fonction du rapport de force qu’ils sont capables d’imposer.
Depuis 2009, on est passé par tout le déluge de solutions pour sauver l’industrie, l’outil industriel, le savoir-faire français, la « balance commerciale », etc. Or, nous le disons aussi : nous n’avons pas de « solution industrielle » à proposer au capitalisme français.
Aussi parce que, comme le font remarquer certains partisans nationalistes de ces solutions, ce n’est pas pour des raisons réellement « industrielles » que le patronat ferme des usines et licencie partout ailleurs. Ces entreprises sont toutes à l’assaut d’un marché mondial, convaincues d’y piller les ressources naturelles et humaines et d’y réaliser des profits supérieurs. Leurs choix de prédateurs à la conquête de marchés mondiaux passent par des opérations de restructurations et de réorganisation de leur capital. Avec toujours la même « variable d’ajustement » : les salariés.
Leurs profits, ils ne peuvent les extorquer qu’en menant une lutte féroce contre les travailleurs, y compris et surtout sur le terrain politique (et pas seulement « économique »). Ces patrons « stratèges » convoquent toutes les structures de l’appareil d’État (juridiques, financières, centralisatrices et… répressives) pour imposer un rapport de force aux salariés. La preuve par l’automobile : nous avons affaire à des « conglomérats puissants » et à des constellations de sous-traitants qui sont loin d’être acculés, et dont les décisions sont avant tout politiques. Même avec le passage à l’électrique : les baisses prévisionnelles de commandes ont bon dos, c’est pour les profits de quelques-uns que d’autres sont privés d’emploi, pas pour des raisons de réorganisations industrielles : pourquoi ne pas en profiter plutôt pour diminuer le temps de travail sans perte de salaire et nous faire travailler moins, mais tous.
Quel programme contre les licenciements et fermetures de sites ?
Contre ces rapaces, des mesures de sauvegarde du monde du travail, un plan d’urgence sociale peut être mis en avant par les salariés. Mais, plus encore que les revendications elles-mêmes, ce qui serait déterminant, ce sont les moyens que les travailleurs se donneraient pour les obtenir. Il s’agit donc surtout d’une question de rapport de force dans cette lutte des classes.
Ces mesures de sauvegarde, de plan d’urgence, doivent être guidées par la volonté de s’adresser à l’ensemble de la classe ouvrière, en butte partout aux mêmes attaques, aux mêmes plans de restructurations, de destruction d’emplois, dans le secteur privé comme public, avec partout désormais les mêmes techniques patronales de management agressif contre le personnel ; guidées par la volonté de faire converger les luttes des travailleurs. Et ce plan de sauvegarde se décline, entre autres, en quelques grandes exigences :
• Interdiction des licenciements et des suppressions de postes ;
• Partage du travail entre tous, sans perte de salaire ;
• Hausse générale des salaires et Smic à 2 000 euros net ;
• Embauches définitives des précaires (intérimaires, CDD, prestataires, etc.) ;
• Embauches massives dans les services publics ;
• Contrôle des comptes des entreprises.
Ce sont des objectifs précis qui seraient à la portée des travailleurs pour autant que la convergence de leurs luttes et leur coordination par les travailleurs eux-mêmes soit un impératif premier, seule cette convergence étant capable de « mettre le pays à l’arrêt ». Ce que le patronat craint par-dessus tout, c’est de devoir faire face à des travailleurs unis, sans moyens de tenter de jouer les uns contre les autres. Et qu’on ne nous dise pas que de telles mesures ne sont pas réalisables dans l’un des pays les plus riches du monde, où les entreprises accumulent des bénéfices monstres, mais où les inégalités comme la pauvreté explosent.
Du programme au rapport de force pour l’imposer
Certes ce n’est pas la même chose de réclamer l’interdiction des licenciements (comme les Lu-Danone en 2001) ou des indemnités de départ. Mais, que ce soient les 70 000 euros d’indemnité supra-légales réclamés par les MA France, 200 000 euros ou le maintien des emplois et du site à Valeo ou tout autre objectif, même minimum, il ne sera atteignable que dans un contexte de généralisation des luttes et du rapport de force qu’elles créent. On n’obtient pas la même chose quand seuls les travailleurs d’une entreprise ou d’une région y sont engagés, ou que leur lutte réussit à devenir contagieuse à une échelle plus large et à se coordonner avec d’autres. Le problème réel est de sortir de l’isolement et, du même coup, de faire évoluer le rapport de force.
Tous les travailleurs et travailleuses menacés sont confrontés, face aux licenciements, à une certaine résignation ou un sentiment de « sauve-qui-peut ». Mais ça pourrait changer si une ou plusieurs entreprises menacées prenaient sur elles d’en appeler aux autres. Pas seulement en vue d’obtenir un « soutien », mais de se coordonner, afin que plus un seul Valeo, MA France, Bosch ou Stellantis ne se retrouve seul face aux licenciements : le meilleur soutien qui peut être apporté à des travailleurs en lutte est que d’autres travailleurs les rejoignent dans la lutte ! Ce que le patronat redoute, c’est l’explosion de colère qui regrouperait tous les travailleurs menacés, qui entraîneraient ceux des autres secteurs, à commencer par ceux des régions où la fermeture d’une entreprise menace aussi les emplois de sous-traitants.
Et ce qui le rassure, c’est l’éparpillement. Pour ne prendre que cet exemple : après avoir eu chaud en 2009, avec les luttes de Continental, Goodyear, Molex, New Fabris, Philips et tant d’autres – là encore contre les licenciements et fermetures de sites chez une masse de sous-traitants –, une note de conjoncture de l’association Entreprise & Personnel (E&P), qui regroupe les DRH des grandes entreprises, écrivait à la fin de l’année 2009 avec soulagement : « Les conflits sont restés épars et n’ont jamais été voués à se rejoindre. Au-delà d’exemples radicaux et très médiatisés, le climat social reste relativement calme dans les entreprises, avec des salariés attentistes, dont le moral évoluera entre fatalisme et pointe d’espérance sur fond d’inquiétude diffuse. »1 On y lit encore : « On est quasiment dans la cogestion de la crise et les syndicats ont démontré l’importance de leur rôle dans la régulation sociale. »
Ce qu’ils redoutent, nous devons le rechercher : faire se rejoindre les conflits, ne pas les laisser « épars ». Faire en sorte que les travailleurs s’organisent eux-mêmes, quels que soient les calculs des appareils politiques et syndicaux, qu’ils se donnent eux-mêmes les moyens des objectifs qui se seront fixés. Loin d’en rester à la défense entreprise par entreprise, aux solutions locales toutes plus illusoires les unes que les autres, c’est à l’ensemble des travailleurs que ceux qui se retrouvent directement acculés à la lutte pour leurs emplois peuvent s’adresser.
24 septembre 2024, Léo Baserli
Sommaire du dossier
- Nouvelle vague de licenciements et fermetures de sites chez les constructeurs automobile et leurs sous-traitants
- Audi Bruxelles : pour répondre aux plans de licenciements, la lutte !
- Chez les donneurs d’ordre, c’est Ford qui ouvre (encore) le bal !
- Alpine-F1 : la mobilisation en pole-position à Renault
- Chez Volkswagen, un crépuscule de la « cogestion » ?
- Interview : Les Valeo montent à Paris contre la fermeture de leurs sites !
- Repreneur privé ou public : les vraies fausses solutions à la française
- Nationalisme et « Protectionnisme solidaire » ? La preuve par Trump !
- Les limites d’une « solution » comme la Scop : travailleurs licenciez-vous vous-mêmes !
- Reconversion vers l’électrique : Raison de toutes les restructurations et prétextes à tous les chantages
- Contre les fermetures de sites, licenciements et suppressions de postes : quelle politique ? Qu’est-ce qu’il faudrait revendiquer ? Qu’est-ce qu’il faudrait tenter ?