Des centaines d’ingénieurs mobilisés contre une décision de leur direction, une grève suivie par l’écrasante majorité d’un site, du directeur technique au mécano, des journalistes sportifs qui rendent compte dans leur revue d’un mouvement social, un circuit de Formule 1 où les banderoles revendicatives fleurissent dans les tribunes… Non, vous ne rêvez pas, le symbole du sport-spectacle, le summum du glamour et des grosses cylindrées est le théâtre d’une lutte sociale inédite.
Le conflit a été déclenché par la décision du directeur général de Renault, Luca De Meo, d’arrêter définitivement le programme de moteur de Formule 1 de l’écurie Alpine, marque détenue par Renault. Ce programme moteur est le fruit de quasiment 50 années d’implication dans la « discipline reine » du sport automobile, jalonnée d’innovations techniques et de trophées célébrées à coups de cocorico par les médias. Les ingénieurs, techniciens et mécanos qui y travaillent sont souvent des passionnés qui sont prêts à dédier plusieurs années de leur vie à travailler, soirs et week-ends inclus. L’esprit de compétition est entretenu par une direction générale qui a toujours considéré que le budget engagé était finalement un outil de marketing et de publicité assez rentable.
Qu’est-il donc passé par la tête de Luca De Meo pour déclencher une telle tempête ? La même politique qu’il mène depuis son arrivée à la tête de Renault en 2020 : réduction des coûts, externalisations d’activités, suppressions d’emplois, augmentation des marges, etc. Des usines jusqu’aux centres d’ingénierie, tout est passé à la lessiveuse pour ne laisser que l’essentiel afin de réaliser toujours plus de profits.
De Meo voudrait poursuivre la Formule 1 avec Alpine, mais sans moteur Alpine : il penche pour un moteur Mercedes. Les passionnés ont beau lui dire que ça n’a pas de sens d’avoir une vitrine technologique avec du matériel acheté à un autre constructeur. Lui, il a vu un gain économique et il a foncé dessus !
Le seul bâton dans les roues finalement, c’est la réaction inattendue des salariés d’Alpine F1, regroupés, pour la section Moteur, sur le site essonnien de Viry-Châtillon (350 salariés Alpine et 150 d’entreprises sous-traitantes). Le pot aux roses a été dévoilé plus vite que prévu, en juillet. Dès le retour des vacances, les salariés se sont réunis et ont organisé une action conjointe sur le circuit de Monza (premier Grand Prix après les vacances d’été) et sur le site de Viry le 30 août. Plus de 80 % de grévistes pour les salariés Alpine : un succès. Deux semaines plus tard, ils remettaient ça à la veille du grand prix d’Azerbaïdjan en se regroupant sous les fenêtres de la direction générale à Boulogne, accompagnés de salariés d’autres sites Renault (Lardy, Flins, Cléon, Maubeuge, Dieppe, Guyancourt, etc.). Une convergence naissante pour lutter contre toutes les suppressions d’emplois, de la F1 à la série. Le pauvre De Meo, qui réalisait pour l’instant un tour parfait dans tous les médias avec ses costumes ajustés, ses pochettes à quatre pointes et son tutoiement systématique des journalistes, risquait la sortie de route médiatique. Il a donc dû accepter de recevoir, vendredi 20 septembre, une délégation de salariés de Viry mobilisés.
Il n’a, pour l’instant, fait qu’écouter les salariés et a dû assurer dans la presse que la décision n’était finalement pas encore prise. Ce n’est clairement qu’une façade. Les salariés de Viry sont pour l’instant très encadrés par le syndicat majoritaire du site qui insiste lourdement sur le caractère « pacifique », « constructif », « dans le dialogue » de la lutte. Cela ne suffira pas pour faire revenir la direction générale sur sa décision. Pour le faire, il va falloir engager le rapport (de force) supérieur : prendre leur lutte en mains eux-mêmes, amplifier et élargir la mobilisation, à commencer par les autres filiales du groupe Renault, récemment démantelé. Car ce qui est jeu, ce n’est pas un podium et une bouteille de champagne mais bien le maintien de 500 emplois.
Lucien Massa
Sommaire du dossier
- Nouvelle vague de licenciements et fermetures de sites chez les constructeurs automobile et leurs sous-traitants
- Audi Bruxelles : pour répondre aux plans de licenciements, la lutte !
- Chez les donneurs d’ordre, c’est Ford qui ouvre (encore) le bal !
- Alpine-F1 : la mobilisation en pole-position à Renault
- Chez Volkswagen, un crépuscule de la « cogestion » ?
- Interview : Les Valeo montent à Paris contre la fermeture de leurs sites !
- Repreneur privé ou public : les vraies fausses solutions à la française
- Nationalisme et « Protectionnisme solidaire » ? La preuve par Trump !
- Les limites d’une « solution » comme la Scop : travailleurs licenciez-vous vous-mêmes !
- Reconversion vers l’électrique : Raison de toutes les restructurations et prétextes à tous les chantages
- Contre les fermetures de sites, licenciements et suppressions de postes : quelle politique ? Qu’est-ce qu’il faudrait revendiquer ? Qu’est-ce qu’il faudrait tenter ?