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Interview : Les Valeo montent à Paris contre la fermeture de leurs sites !

Le site Valeo de Saint-Quentin-Fallavier emploie 330 salariés en CDI (170 salariés ingénieurs-cadres, 70 ouvriers à la production, 90 employés techniciens et agents de maîtrise). Depuis juillet dernier, il est menacé de fermeture, de même que celui de La Suze-sur-Sarthe (270 salariés) et le centre de recherche et développement (R&D) de La Verrière dans les Yvelines (500 salariés). Le 17 septembre était organisée une montée des Valeo au siège à Paris, où se sont retrouvées des délégations de sites Valeo de toute la France, mais aussi de Stellantis, de Renault, de Bosch, de la Poste et une présence remarquée d’ouvriers de MA France (Aulnay) invités par les Valeo.

Nous publions ci-dessous l’interview de Kemal, militant CGT du site Valeo de Saint-Quentin-Fallavier.

 


Révolutionnaires :
En quelques mots, raconte-nous l’histoire de ton usine. La baisse des effectifs a-t-elle été soudaine ? Quelle a été l’évolution ces dernières décennies ?

Kemal : Valeo est un groupe qui a 23 sites de production en France et 14 sites de R&D. Notre usine a 35 ans : de 1989 à 2020, on a fabriqué des démarreurs de véhicules : essence, diesel et poids lourds. Au début des années 2000, nous étions 1 200, en 2006 nous n’étions plus que 850 embauchés (sans compter les intérimaires), aujourd’hui nous sommes 350 en tout. La direction de Valeo avait déjà imposé un PSE d’une centaine de salariés, partis au « volontariat ». Mais le gros des suppressions d’effectifs s’est fait par départs non remplacés.

En 2008-2009, la production est passée des démarreurs classiques aux stop&start qui se sont vendus comme des petits pains. À l’époque, notre client principal était Volkswagen. Pourtant, alors que la production était à son maximum entre 2010 et 2017, les effectifs ont continué de diminuer : équipes en 3×8 pour une production de 2,5 millions de démarreurs par an. La direction de l’usine a recouru à l’intérim, mais a surtout surchargé les postes. Les salariés se sont investis, ont multiplié les heures supplémentaires, ont tout fait pour garder leur site : on leur a demandé de produire, ils ont produit.

 

R : À partir de quel moment les menaces sur le site ont-elles commencé à se faire plus précises ?

K : En 2018, avec le lancement des véhicules électriques et hybrides, les démarreurs conventionnels sont devenus obsolètes. La direction a donc « réindustrialisé » pour un « produit d’avenir » : le GMG (Gearbox Motor Generator), une sorte de moteur électrique qui s’insère dans la boîte de vitesse, et qui permet une conformité des véhicules thermiques aux nouvelles normes écologiques. La production prévue était d’1,9 million de GMG sur cinq ans. Notre seul client était l’équipementier Magna qui fournissait BMW et FCA (Fiat-Chrysler, bientôt Stellantis), pour des véhicules comme les Fiat 500X, les Jeep Renegade ou les Alpha-Romeo Tonale.

Mais le produit s’est beaucoup moins bien vendu. 120 000 GMG la première année, 40 000 l’année suivante. En 2019, la direction nous a imposé un accord de compétitivité, avec referendum, qui s’est conclu par l’abandon de RTT, deux ans de gel des salaires… La direction nous a dit que nous étions en concurrence avec l’usine de Pologne, jumelée avec celle de Saint-Quentin-Fallavier, qu’ici les salaires sont plus élevés et que, pour être compétitifs, il allait falloir accepter des sacrifices.

Magna est peu à peu devenu notre concurrent pour fournir BMW, ce qui a encore divisé par deux la production sur notre site, à un tiers de ses capacités. À partir de là, ça a commencé à sentir le PSE et le climat est devenu anxiogène sur l’usine.

 

R : C’est alors que sont survenues les menaces de fermetures ?

K : Oui. En juillet dernier, la direction a annoncé que le site allait être vendu. Malgré tout, nous avons quand même été surpris, parce qu’on travaillait sur un moteur électrique nouvelle génération appelé DMG (Drivetrain Motor Generator) qui permettait au modèle de passer à quatre roues motrices et d’augmenter la puissance de 35 chevaux. La marque Dacia (groupe Renault) avait tout de suite manifesté son intérêt ainsi que d’autres marques. On s’attendait à avoir encore des suppressions de postes. Mais la direction de Valeo avait déjà signé l’arrêt de mort du site, la production des DMG partirait en Pologne ou en Turquie et la R&D France vers l’Inde.

 

R : La lutte des Valeo de Saint-Quentin-Fallavier a commencé à ce moment-là : que réclamez-vous ?

K : Au début, un certain nombre de salariés, sous le choc, ont dit qu’ils n’accepteraient de partir qu’avec des indemnités supra-légales de 150 000 à 200 000 euros. Mais, le 17 septembre, nous sommes montés à Paris au siège de Valeo et avons manifesté aux côtés de délégations d’autres sites Valeo et d’ailleurs. Suite à ça, on a pris une décision : penser collectif et ne plus parler d’indemnités. Notre combat c’est de garder notre site et la production !

Dans notre usine, 40 à 45 % de nos collègues ont plus de 50 ans. Tout le monde va devenir le concurrent de tout le monde sur le marché du travail. Les collègues qui démissionnent pensent qu’ils pourraient être les premiers à postuler sur le bassin d’emplois. 57 salariés sont reconnus victimes de l’amiante, qui va garantir leur ancienneté et leurs primes en cas de repreneur ?

Aujourd’hui, notre lutte peut faire pencher la balance, on le sent, on a les compétences, on n’est pas responsables des erreurs du groupe. Et les moyens d’un groupe comme Valeo sont énormes. Le 17 septembre, au siège à Paris, on n’a pas été reçu par des directeurs industriels mais par une DRH et une DRT (Directrice des relations travail) : le message était clair.

 

R : Comment vous êtes-vous organisés pour faire vivre et durer la lutte ?

K : Depuis plusieurs semaines, une intersyndicale Sud, CGT, CAT (Confédération Autonome du Travail) et finalement CFE-CGC appelle à des assemblées générales, plusieurs fois par semaine sur les 12 minutes de la pause de 10 heures. Avec 120 à 130 salariés à chaque fois (sur les 200 présents sur site le matin), des prises de parole, de la musique, ça débordait évidemment ! La direction furieuse a alors menacé de retenues sur salaires et a appelé en renfort cinq vigiles supplémentaires et un huissier présent 24 heures sur 24 qui chronomètre les AG et prend des notes. Ça a fait baisser la durée des AG, mais pas le nombre des participants. On a vu émerger de véritables génies de la mixtape de chansons avec des paroles Valeo, des poésies et des apprentis DJ… Lorsque la DHR du groupe est passée sur site avec des directeurs industriels, elle a été reçue par un beau comité d’accueil !

 

R : Avez-vous tenté de rentrer en contact avec d’autres usines menacées ?

K : À chaque fois qu’on a débrayé, on a eu le soutien de délégations des autres usines du bassin industriel. Pas facile de rencontrer d’autres ailleurs, ils sont loin et c’est dur de sortir de l’usine. Quand nous sommes montés au siège de Valeo à Paris, il y avait des délégations de beaucoup d’autres sites Valeo, mais aussi de Stellantis, Renault et d’autres… Et ceux de MA France. On avait pris contact avant. Les salariés de MA France, c’est comme si on s’était lié à eux. Nous on ne fait que commencer, eux ils sont vraiment dans le dur. Ils étaient en lutte depuis plus de 150 jours, c’est un long combat, on ne peut que respecter ce qu’ils font, ils sont exemplaires et en plus ils sont venus nous soutenir ! Je vais tenter de suivre tout ce qui leur arrive.

Les ouvriers de MA France au rassemblement de Valeo : « Valeo – MA France : Tous ensemble ! »

 

R : Comment tu vois la suite de votre lutte ?

K : On ne sait pas encore ce qu’on fera le 1er octobre, mais, pour nous, la prochaine échéance c’est le salon de l’Automobile le 17 octobre. Ce sera l’occasion de manifester, de prendre des contacts et de remplir le carnet d’adresses ! Et pas seulement avec les autres sous-traitants menacés, mais aussi avec les salariés des donneurs d’ordre. Ça permettra de nous mettre tous en relation. Mais, quitte à se rencontrer le jour-même, moi je préfèrerais prendre les contacts avant. Si on pouvait avoir une réunion, même en « visio », ou une coordination, pourquoi pas ? Pour permettre une cohésion et définir une stratégie. Ce n’est pas que Valeo le problème, c’est aussi les autres : Stellantis, Renault… D’autant qu’une autre échéance nous menace : fin septembre, Valeo annoncera une nouvelle restructuration de la R&D en France, avec suppressions d’emplois à la clé.

Propos recueillis le 22 septembre 2024, L.B.

 

 


 

 

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