Jean-Luc Mélenchon a rendu visite aux ouvriers de MA France, jeudi 19 septembre. Tout en critiquant la fonction de Premier ministre, qu’il briguait pourtant il n’y a pas si longtemps, il s’est posé comme présidentiable et a reparlé de « protectionnisme ».
En 2016, dans son programme pour les présidentielles, il expliquait : « Le grand déménagement du monde doit cesser. Il faut relocaliser les productions. Nous avons besoin d’un protectionnisme solidaire au service de l’intérêt général contre les multinationales et la mondialisation financière. La défense de notre souveraineté industrielle est une condition indispensable à la fondation de nouvelles coopérations internationales. »1
Les délocalisations seraient ainsi la principale cause des destructions d’emplois, la solidarité industrielle à la nation en serait la réponse, pour sauver un capitalisme industriel contre le méchant capital financier des multinationales (comme si on pouvait encore faire la distinction entre les deux) et, bien sûr, en s’en remettant à l’État français (comme si celui-ci n’était pas spécialement fabriqué pour être au service de ces multinationales).
Une orientation largement reprise dans le programme du NFP en juin dernier. Où le « protectionnisme », pour raisons « écologiques » bien entendu, viserait à protéger de la concurrence les produits français à coup de « taxe kilométrique sur les produits importés ».
Dans son livre de 2015, Le Hareng de Bismarck (le poison allemand)2, Jean-Luc Mélenchon expliquait sa démarche : il s’insurgeait contre les grosses cylindrées allemandes qui envahissent le marché, prétextant qu’elles sont plus polluantes que les petites voitures pour lesquelles Renault et PSA sont leaders sur le marché européen. PSA avait même poussé le lobby jusqu’à demander par la voix de l’élu PS du Doubs, Pierre Moscovici (ami de François Hollande et de la famille Peugeot en tant qu’élu de la localité de Sochaux) de taxer la pollution des gros modèles, en réalité les marques allemandes. Protectionnisme « solidaire » certes, mais de qui ? Pas des ouvriers français exploités par Peugeot et encore moins des ouvriers allemands !
« Relocalisations » ? Une chose est sûre : ça ne rime pas toujours avec création d’emplois. Quand PSA a retiré à l’usine Opel de Vienne-Aspern en Autriche les boîtes de vitesse pour les faire produire à Valenciennes, il n’y a pas eu d’embauche sur place, seulement une surcharge de travail. Quand l’Opel Mokka a été délocalisée de l’Espagne (Saragosse) à l’usine de PSA Poissy, les suppressions de postes y ont continué de plus belle ainsi que l’augmentation des cadences. Aujourd’hui, Opel Aspern a fermé et Stellantis menace de fermer son site de Poissy.
Trump et Ford, un exemple de « protectionnisme solidaire »
Pour voir quelle physionomie aurait ce protectionnisme solidaire au pouvoir, il nous suffit de regarder ce qu’a fait Donald Trump aux États-Unis avec Ford. En novembre 2016, Trump accusait Ford de produire du chômage aux États-Unis, en annonçant la fabrication d’une nouvelle voiture au Mexique, dans l’usine de San Luis Potosi de 2 800 salariés.
Contre ce qu’il appelait une « externalisation », il voulait construire un mur douanier à 35 %, pour pénaliser les Toyota, Mazda, Honda, Nissan, Volkswagen, Mercedes ou BMW qui concurrencent les automobiles américaines sur le marché national. Que se serait-il passé si l’Allemagne et le Japon, qui investissent aux États-Unis, avaient fait la même chose en rapatriant leurs usines ? Certes, ils n’auraient plus accès de la même manière au continent américain. Mais BMW avait deux usines et quatre centres de recherche sur le territoire américain ; Honda : quatre usines ; Toyota : six, on laisse calculer combien d’emplois seraient détruits aux États-Unis par la fermeture de douze usines de production et quatre centres techniques.
Mais Trump a été persuasif. En mars 2017, Ford décidait finalement de ne pas ouvrir d’usine au Mexique et annonçait renoncer aux 1,6 milliard de dollars d’investissements qui y étaient prévus. En échange de quoi, Ford devait investir à Flat Rock (Michigan), au sud de Détroit, 700 millions de dollars et non 1,6 milliard comme prévu au Mexique, et avec seulement 700 créations d’emplois à la clé avant 2020, pour produire un véhicule électrique qui devait être lancé à cette date.
Comment Trump a-t-il obtenu un tel « patriotisme » de Ford ? C’est simple, et c’est à cela que sert un État : le constructeur comptait profiter du climat « pro-business » que Trump avait promis : une réforme fiscale annoncée pendant sa campagne présidentielle, pour que le taux d’impôt des sociétés passe de 35 % à 15 %. Fields (PDG de Ford) a qualifié son revirement de « vote de confiance en faveur du président élu et des politiques qu’il peut mener. […] Nous pensons que ces réformes fiscales et réglementaires sont d’une importance cruciale pour renforcer la compétitivité des États-Unis, et, bien sûr, aboutir à une renaissance du secteur manufacturier américain », avant d’ajouter : « Il ne faut pas se leurrer, Ford est un constructeur mondial, mais notre maison est ici, aux États-Unis. »
23 septembre 2024, Léo Baserli
1 Mélenchon, L’Avenir en commun, Le programme de la France Insoumise et de son candidat, II, § 17, éd. Seuil, 2016, p. 46.
2 Mélenchon, Le Hareng de Bismarck (le poison allemand), Chap. 1, éd. Plon, 2015, p. 32.
1980-2008, suppressions de postes : délocalisations ou gains de productivité ?
En 2008, un vent de panique soufflait sur tout le secteur de la métallurgie avec l’ouverture par Renault et PSA d’usines en Europe de l’Est (respectivement en Roumanie et en Slovaquie) pour une production destinée au marché français. Rappelons que la fabrication de véhicules ne peut pas vraiment être « délocalisée » plus loin que l’Afrique du Nord ou l’Europe de l’Est, puisque, si elle l’était « en Chine », le prix du véhicule importé en France serait doublé. Mais l’industrie capitaliste pendant trente années n’avait pas eu besoin des délocalisations pour mettre au chômage des centaines de milliers de travailleurs.
Selon des chiffres du CCFA (Comité des constructeurs français d’automobiles), entre 1980 et 2008, les effectifs ont fondu en France de 321 000 à 170 000. Les plus grosses suppressions, datent de la décennie 1980-1990 (de 321 000 à 216 000). Elles ne sont pas liées aux délocalisations, mais, d’une part, à l’externalisation des tâches vers la sous-traitance, et, d’autre part et surtout, à d’énormes gains de productivité. En France, la part des salaires, représentait 16,6 % du chiffre d’affaires de l’industrie automobile en 1980, pour seulement 7,4 % au début des années 2010.
Faire plus avec moins, dégager du personnel pour surcharger ceux qui restent, c’est le mot d’ordre des capitalistes et de leurs États, justifiant et accompagnant tous les chantages.
L.B.
Sommaire du dossier
- Nouvelle vague de licenciements et fermetures de sites chez les constructeurs automobile et leurs sous-traitants
- Audi Bruxelles : pour répondre aux plans de licenciements, la lutte !
- Chez les donneurs d’ordre, c’est Ford qui ouvre (encore) le bal !
- Alpine-F1 : la mobilisation en pole-position à Renault
- Chez Volkswagen, un crépuscule de la « cogestion » ?
- Interview : Les Valeo montent à Paris contre la fermeture de leurs sites !
- Repreneur privé ou public : les vraies fausses solutions à la française
- Nationalisme et « Protectionnisme solidaire » ? La preuve par Trump !
- Les limites d’une « solution » comme la Scop : travailleurs licenciez-vous vous-mêmes !
- Reconversion vers l’électrique : Raison de toutes les restructurations et prétextes à tous les chantages
- Contre les fermetures de sites, licenciements et suppressions de postes : quelle politique ? Qu’est-ce qu’il faudrait revendiquer ? Qu’est-ce qu’il faudrait tenter ?