Le principal prétexte invoqué par les constructeurs pour justifier restructurations et destruction d’emplois dans le secteur automobile est la conversion vers l’électrique et la fin des véhicules thermiques. Petit historique.
De l’électro-scepticisme menaçant…
En décembre 2018, l’Union européenne annonce vouloir réduire de 37,5 % des émissions de CO2 des véhicules neufs d’ici à 2030. Cette année-là, avant l’annonce, l’ancien président du directoire de Volkswagen, Herbert Diess vocifère déjà : « En une dizaine d’années, environ un quart des emplois dans nos usines disparaîtraient alors, ce qui correspond à un total d’environ 100 000 emplois. » La menace est relayée par l’Association des constructeurs européens d’automobiles (Acea), présidée par Carlos Tavares, PDG de PSA, qui estime fin 2018 que les objectifs de CO2 auront un « impact majeur sur les emplois sur l’ensemble de la chaîne de valeur automobile, qui embauche 13,3 millions d’Européens ».
Mais, fin 2019, après avoir craché sur l’électrique et menacé 13 millions d’Européens, Carlos Tavares, via l’Acea, demande aux États de mettre la main à la poche : « Notre industrie est impatiente de progresser le plus rapidement possible vers une écomobilité zéro émission. Toutefois, cette transition est une responsabilité partagée. […] Les gouvernements de l’UE doivent suivre le rythme croissant avec lequel nous lançons ces voitures en augmentant énormément les investissements dans les infrastructures. En outre, ils doivent également mettre en place des incitations à l’achat durable qui soient cohérentes au sein de l’Europe. »1
… à la course effrénée aux subventions
Le doigt sur la couture, Emmanuel Macron annonce en octobre 2021 un Plan France 2030 de 30 milliards, dont 12 milliards consacrés à la décarbonation, dont la part la plus importante, sera consacrée à la mobilité. En octobre 2022, le ministère de l’Économie et des finances et de la souveraineté industrielle reconnaîtra « 8 milliards d’euros de subventions et 6 milliards d’euros de prêts garantis, pour accompagner et financer la transition de la filière automobile nationale », sans compter les exonérations de toutes sortes. Le secteur continue d’être arrosé.
C’est qu’en juin 2022, l’Union européenne promulguait l’interdiction de la vente des véhicules thermiques pour 2035 (2036 pour les voitures de luxe)… L’Union européenne estime alors qu’il faudra former et reconvertir 800 000 travailleurs d’ici à 2025…
La totalité des véhicules neufs mis sur le marché en 2035 sera donc à « zéro émission ». Et tout devra suivre : l’approvisionnement sécurisé en minerais et métaux (nickel, lithium, cobalt, terres rares, etc.) pour les batteries, un nombre suffisant de « gigafactorys », un réseau de bornes dimensionné, etc. Les patrons allemands, notamment de Volkswagen, emboîtent le pas, soucieux de prendre en marche le train de la reconversion. Tavares quitte l’Acea.
Aujourd’hui, un parton comme Carlos Tavares a raison de le dire : personne ne peut réellement s’acheter un véhicule électrique et les faibles volumes de ventes d’hybrides et de véhicules électriques (le prix étant prohibitif pour nombre de travailleurs) implique des restructurations pour cause de baisse de production. Mais la raison des licenciements c’est donc le patronat et ses profits : hors de question pour lui de partager le travail entre tous sans perte de salaires, alors il faut licencier et faire payer aux travailleurs la compétition effrénée que les constructeurs vont se livrer entre eux.
Compétition mondiale aux frais de travailleurs du monde entier
Pour les constructeurs européens, le problème, comme ne cesse de le répéter Carlos Tavares, est que ce ne sont pas des partenaires ou les alliés d’une éventuelle « mondialisation entre amis » qui possèdent les ressources technologies nécessaires à la reconversion : c’est la Chine. Tout un cinéma patronal donc pour exiger des subventions au service d’une guerre économique. Si la concurrence est réelle, quand il s’agit de gros sous, les patrons savent parfois s’entendre et la surmonter : Stellantis a développé une alliance avec le constructeur chinois Leapmotor pour fabriquer le modèle T03 sur le sol européen, manière de profiter de l’avance technologique pour Stellantis et d’éviter les taxes douanières pour Leapmotor. Le but des patrons européens est clair : faire financer cette guerre contre la Chine et celle des constructeurs entre eux avec les impôts, les emplois, voire la peau des travailleurs du monde entier. La reconversion vers l’électrique est seulement leur nouveau champ de bataille.
23 septembre 2024, Adrian Lansalot et Léo Baserli
1 Acea, Making the Transition to Zero-Emission Mobility, 2019 Progress Report, Enabling factors for alternatively-powered cars in EU, Septembre 2019, page 3
Électrique : accélérateur de la compétition qui roule sur les salariés
Luca De Meo, patron de Renault, à la tête de l’Acea (Association des constructeurs européens d’automobiles) à laquelle appartient aussi Volkswagen, redoute les amendes qui menacent les constructeurs qui ne parviendront pas à baisser leurs émissions de CO2 aux dates imposées par l’Union européenne, et il exige un délai de deux ans supplémentaires.
Carlos Tavares, PDG de Stellantis, qui a quitté le lobby en 2022 après l’avoir présidé, lui a répondu la semaine dernière, en marge du concours général de l’élégance (sic) à Chantilly : « Tout le monde connaît les règles depuis longtemps, tout le monde a eu le temps de se préparer, et donc maintenant on fait la course. » Il poursuit : « Maintenant, on a les bagnoles, on s’est organisé pour faire les ventes nécessaires, on souffle dans le cou de Tesla. Et on nous dit qu’il va y avoir des catastrophes. Mais il fallait y penser avant, non ? »
Des choix de prédateurs à la conquête de marchés mondiaux, avec toujours la même « variable d’ajustement » : les salariés.
L.B.
Sommaire du dossier
- Nouvelle vague de licenciements et fermetures de sites chez les constructeurs automobile et leurs sous-traitants
- Audi Bruxelles : pour répondre aux plans de licenciements, la lutte !
- Chez les donneurs d’ordre, c’est Ford qui ouvre (encore) le bal !
- Alpine-F1 : la mobilisation en pole-position à Renault
- Chez Volkswagen, un crépuscule de la « cogestion » ?
- Interview : Les Valeo montent à Paris contre la fermeture de leurs sites !
- Repreneur privé ou public : les vraies fausses solutions à la française
- Nationalisme et « Protectionnisme solidaire » ? La preuve par Trump !
- Les limites d’une « solution » comme la Scop : travailleurs licenciez-vous vous-mêmes !
- Reconversion vers l’électrique : Raison de toutes les restructurations et prétextes à tous les chantages
- Contre les fermetures de sites, licenciements et suppressions de postes : quelle politique ? Qu’est-ce qu’il faudrait revendiquer ? Qu’est-ce qu’il faudrait tenter ?
