Plus de soixante campus bloqués, une mobilisation étudiante de près de trois mois, Belgrade occupé, de ses universités à son principal axe routier… c’est ce qu’il a fallu pour faire plier, mardi 28 janvier, Miloš Vučević, Premier ministre du gouvernement serbe.
Un drame édifiant, marque de fabrique des capitalistes
À l’origine de ce mouvement de protestation historique en cours en Serbie, l’effondrement du toit de la gare de Novi Sad le 1er novembre 2024. C’est sous le mandat de Vučević, ancien maire de la ville, que les travaux avaient été bâclés pour amortir les coûts. La précipitation dans le chantier, due selon la population à la corruption des autorités, a finalement coûté la vie à quinze personnes lorsque le toit s’est effondré. Le Premier ministre démissionnaire a d’ailleurs annoncé que son successeur à la mairie de Novi Sad écourterait, lui aussi, son mandat.
Pour une grande partie de la population serbe, ce drame qui aurait pu être évité est le symptôme non seulement du mépris du gouvernement, mais surtout de ce que des milliers de manifestants ces dernières semaines ont dénoncé comme la corruption qui gangrène leurs dirigeants. Soit un entre soi réunissant depuis plus d’une décennie membres du gouvernement, actionnaires de l’immobilier et grands marchands en tout genre, laissant sur le bord de la route des travailleurs, des travailleuses et surtout des jeunes faisant face à une précarité grandissante.
Devant les premiers remous dans les universités, le président serbe s’était empressé de déclarer que les étudiants manifestants étaient payés par des puissances étrangères, qu’il ne s’agissait de rien de plus qu’une tentative de déstabilisation. Il semble abonné à cette rhétorique nauséabonde, puisqu’il avançait peu ou prou les mêmes arguments en 2012, face à une mobilisation elle aussi dressée contre la corruption suite à un épisode funeste de l’histoire récente du pays (fusillade avec pour cible une école et deux villages, faisant dix-huit morts). Cette indignité doublée d’un nationalisme exacerbé n’a trompé personne dans les rangs des cortèges ou dans les occupations de facs, tellement le bobard était gros et sentait le réchauffé.
La jeunesse mobilisée revendique depuis novembre une transparence absolue de la part du gouvernement, notamment concernant les documents relatifs à la rénovation de la gare de Novi Sad, lasse que les cabales arrangées dans l’ombre se fassent au prix de vies humaines. Forts de leur nombre et de leur détermination, les étudiants revendiquent également la condamnation de la répression d’une extrême violence qui s’est abattue sur eux ainsi que sur les enseignants mobilisés, ainsi que la libération des étudiants arrêtés et une hausse de 20 % du budget de l’enseignement supérieur public.
Le Premier ministre aura-t-il raison de la mobilisation ?
Alors que le Parlement serbe dispose de trente jours pour désigner un nouveau gouvernement, et que le président du parti conservateur au pouvoir, Aleksandar Vučić, promet un remaniement d’ampleur, voilà le pays plongé dans une période d’instabilité institutionnelle. Une situation qui sonne familièrement aux travailleuses, travailleurs et jeunes de France, à la différence qu’en Serbie des manifestations monstres continuent à secouer les grandes villes et que la mobilisation étudiante se voit gratifiée d’une première victoire. L’appel à la grève générale, déjà lancé par les manifestants « anticorruption », pourrait bien dans les prochains jours trouver un nouvel écho.
Miloš Vučević a présenté sa démission comme un espoir de « retour au calme ». Comme les tractations et la violence des forces de l’ordre n’arrivaient pas à bout de la mobilisation, le Premier ministre a mis sur la table l’abandon de son poste, comme fusible de l’ordre établi. Mais si les gouvernements Attal, Barnier puis Bayrou nous ont appris quelque chose, c’est qu’un Premier ministre de la bourgeoisie peut en cacher un autre, tout aussi réactionnaire…
Cette place vacante, dans un gouvernement qui n’est que la vitrine des intérêts du patronat, doit être l’appel d’air qui permettra à la classe ouvrière serbe d’enfin décider pour elle-même, débarrassée du secret des affaires et de la misère. C’est encore bien loin de signer la satisfaction de toutes ses exigences et la fin de la contestation. Car la lutte impulsée par la jeunesse serbe contre un monde profondément injuste et ne marchant que pour le profit, ne se satisfera probablement pas du seul remplacement de Vučević !
On peut espérer que de cette société en ébullition, où la jeunesse des classes populaires a entamé un bras de fer avec les représentants de la bourgeoisie, émergent des perspectives révolutionnaires.
Benjamin Palka