
Le 6 février 2025, un jeune homme de 26 ans s’immole par le feu dans un poste de police à Sousse, ville portuaire de l’est de la Tunisie. La scène, filmée et diffusée sur les réseaux sociaux, est violente, brutale, mais elle est devenue presque banale, tant elle se répète. Quelques jours plus tôt, à Tunis, un autre homme, âgé de 48 ans, avait choisi le même geste aux abords d’un hôpital public pour exprimer selon ses proches des « difficultés personnelles » et un « profond désespoir ». Des mots qui reviennent souvent, dans un pays où l’immolation est devenue une forme de protestation désespérée. En 2023, Nizar Aïssaoui, ancien footballeur professionnel, s’était lui aussi immolé près de Kairouan pour dénoncer un « État policier » après avoir été arrêté et accusé de terrorisme pour avoir osé contester le prix des bananes sur un marché. En Tunisie, c’est le sujet de discussion principal en ce moment , tant se sont succédé de telles immolations. Ces actes, qui touchent en premier lieu les régions intérieures marginalisées et défavorisées, commencent à apparaître dans les grandes villes au fur et à mesure que la répression de toute opposition politique s’intensifie. C’est vu comme le symptôme d’un retour à la dictature. Rappelons que c’est l’immolation d’un jeune, Mohamed Bouazizi, en 2011 qui avait déclenché les émeutes qui ont renversé la dictature de Ben Ali.
À Sousse, à la suite de ces événements, des jeunes, excédés, ont lancé des projectiles et des cocktails Molotov sur le commissariat, avant d’organiser une marche funèbre nocturne. Ces jeunes ne réclament pas seulement justice pour le défunt, mais expriment leur ras-le-bol contre la dégradation des conditions de vie et un État de plus en plus autoritaire. La pauvreté, le chômage et l’inflation frappent une large partie de la population, amplifiant ce sentiment de colère, dans un climat où les espoirs de changement, nés de la révolution de 2011, semblent aujourd’hui engloutis dans un profond désenchantement.
Nora Debs