L’arrivée en tête d’un parti d’extrême droite aux législatives en Hollande, l’élection de Milei en Argentine, un libertarien qui promet des coupes claires à la tronçonneuse dans les budgets sociaux, et tout récemment, en France et en Irlande, les expéditions punitives de groupes de nervis utilisant toute la panoplie identitaire et fascisante suite à des crimes habituellement classés dans les faits divers, sont de nouvelles illustrations du résultat d’une offensive politique de l’extrême droite et marquent la progression de ses idées.
La descente de petits nazis au quartier populaire de la Monnaie à Romans-sur-Isère était une nouvelle tentative (après les affrontements lors du match France-Maroc) de concrétiser les appels à la « guerre de civilisations » par les représentants de Reconquête – une ex-candidate du parti de Zemmour appelant au retour des ratonnades –, les amalgames odieux du RN et de LR qui tirent un trait d’égalité entre immigration et insécurité, visant les familles des quartiers pauvres souvent issues de l’immigration. Darmanin ou Borne ne sont pas en reste qui parlent « d’ensauvagement » de la société en visant les Arabes ou les musulmans.
Sur fond de crise inflationniste et d’appauvrissement, de guerres menées en Ukraine et en Palestine avec la bénédiction et les ventes d’armes des puissances impérialistes, sur fond d’une politique migratoire criminelle en Europe ou aux États-Unis, les tenants de l’extrême droite poussent leur avantage essentiellement sur le thème « les immigrés dehors ». Mais aussi autour de questions identitaires comme en Espagne, où l’appel de Sanchez aux nationalistes catalans pour constituer une majorité de gouvernement a fourni une occasion à la droite et à l’extrême droite (PP et Vox) pour défiler en manifestation comme les meilleurs défenseurs de l’unité de l’État espagnol. Les candidats d’extrême droite ou dits « populistes » font feu de tout bois, surfent sur les scandales de corruption qui touchent des ministres en France ou au Portugal, où le Premier ministre socialiste a dû démissionner pour des affaires de corruption liées au marché du lithium. Et si Geert Wilders, le candidat victorieux du PVV en Hollande, connu pour ses outrances notamment contre les musulmans, a surtout bénéficié du vote d’un électorat aisé, il a certainement entamé l’électorat populaire en mettant en avant le problème de l’inflation et du pouvoir d’achat, remettant en cause les couteuses aides à l’Ukraine ou dénonçant la crise du logement dont serait responsable l’afflux « inédit » de migrants. Ne jouissant pas d’un score suffisamment important pour qui lui permette de constituer un gouvernement, celui-ci a mis un peu d’eau dans son vin xénophobe pour s’allier à la droite sortante qui en réalité lui est toute acquise, les responsables du parti de droite (VVD) ayant déclaré avant même les élections qu’ils gouverneraient avec le Trump peroxydé des Pays-Bas.
Il n’y a pas que la droite dite traditionnelle qui pave la voie à l’extrême droite en France ou ailleurs. Le gouvernement Borne pavoise le débat politique aux couleurs du nationalisme et de la xénophobie avec sa loi « Asile et immigration », une énième loi scélérate pour accréditer la théorie selon laquelle il y aurait un afflux migratoire sans précédent et pourrir encore plus la vie des migrants. Mais aussi pour semer la peur et la division dans notre classe sociale, mettre sur la sellette les travailleuses et travailleurs originaires d’Afrique du Nord et de l’Ouest ou plus généralement musulmans ou supposés tels. Darmanin veut à la fois faire plaisir à un patronat avide de profits qui a besoin d’une main-d’œuvre la plus précarisée possible car soumise au chantage permanent à la perte du droit au séjour, et ne pas apparaître comme cédant du terrain face au Rassemblement national pour qui tous les étrangers sont des parasites.
En Allemagne, où l’AfD progresse (estimée à 19 % des intentions de vote), c’est le chancelier social-démocrate Olaf Scholtz qui déclare dans la presse : « Nous devons expulser à grande échelle et plus rapidement ceux qui n’ont pas le droit de rester en Allemagne. » Au-delà de ces déclarations, le traitement hypocrite et criminel des migrants par l’Union européenne mène des milliers d’entre eux à la mort tous les ans et maintient hommes, femmes et enfants dans des camps de rétention dans des conditions inhumaines.
Le projet de loi « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » de Darmanin, corsé par le Sénat et qui sera débattu à l’Assemblée nationale à partir du 11 décembre est là aussi pour créer un écran de fumée autour de mesures profondément agressives contre le monde du travail, comme les récentes réformes de l’assurance chômage, destinées à faire des économies sur le dos des chômeurs et à pousser à la misère ceux que les gouvernants et Marine Le Pen, qui s’accorde en tous points sur ce sujet avec eux, n’osent pas traiter de fainéants… mais c’est tout comme ! Comme disait Marine Le Pen lors d’une interview sur France Inter, il faut que les Français retrouvent le chemin du travail. Rien que ça.
Les élections européennes comme tribune pour gagner des postes
Une des visées de cette propagande nauséabonde de l’extrême droite est évidemment de capter un électorat aux prochaines élections européennes : en Europe, l’extrême droite est au pouvoir en Hongrie, Italie et Slovaquie, participe aux exécutifs en Finlande, Suède ou Lettonie. Et c’est la Hongrie qui présidera le Conseil de l’Union européenne en juin 2024 alors que l’UE refuse pour l’instant une aide de 20 milliards d’euros au gouvernement hongrois. Ladite « question migratoire » est au cœur de leur propagande xénophobe, Orbán ou Wilders mettent en avant l’organisation de référendums pour ou contre l’accueil de migrants. Cette démagogie a pour l’instant montré ses limites en Pologne où le PiS (Droit et justice), qui a gouverné pendant huit ans en pratiquant la pire démagogie xénophobe, homophobe et y compris antisémite, a perdu les élections ce 15 octobre 2023 grâce notamment au vote de la jeunesse et des femmes, révoltées par sa politique interdisant l’avortement.
Dans les semaines qui viennent, il est fondamental que nous menions une contre-offensive politique et idéologique contre la loi Darmanin et que nous mobilisions largement autour de nous, dans les lieux de travail et les lieux d’étude, pour appeler à participer le plus massivement possible aux manifestations contre cette loi scélérate qui auront lieu le 18 décembre et les jours précédents à l’appel des « Marches pour les solidarités ». Les partis de la Nupes affirment aujourd’hui s’allier à nouveau pour combattre la loi à l’Assemblée, mais nous n’avons pas grand-chose à en attendre, eux qui se sont toujours alignés sur la position selon laquelle la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde.
Ce sera une des réponses urgentes et nécessaires aux parades de rue de l’extrême droite, qui se sent à la fois confortée par le racisme d’État, la politique de soutien de Macron à l’État colonial israélien, mais qui est aussi sans doute rendue chafouine par les manifestations de solidarité avec le peuple palestinien qui se tiennent depuis deux mois sans discontinuer. Les rassemblements de nazillons, les défilés bras tendus de l’extrême droite violente et décomplexée représentent une menace directe contre notre camp social. Nous ne comptons ni sur l’État, ni sur Darmanin ou Dupond-Moretti pour nous protéger. Nous ne défendons pas la dissolution de ces groupes, fausse solution car ils savent toujours renaître sous une forme ou une autre. Nous dénonçons le double discours de ce gouvernement qui interdit certaines de ces manifestations comme le rassemblement de vendredi 2 décembre au Panthéon (qui a tout de même rassemblé quelques centaines de fachos) mais conforte le poids de l’extrême droite en menant sa politique raciste et antisociale.
Nous prenons toutes les précautions nécessaires pour protéger nos initiatives politiques, nos manifestations et partout où cela est possible nous participons à construire des réponses, des initiatives unitaires contre toutes les apparitions de rue des groupuscules fascistes ou identitaires qui ont y compris déjà fait quelques tentatives de s’en prendre aux organisations ouvrières. L’extrême droite radicale et organisée ne compte aujourd’hui probablement pas plus que quelques milliers d’individus (3000 selon le ministère de l’Intérieur). Elle est un écho déformé à la poussée dans les urnes de l’extrême droite, qui fait aujourd’hui de la voie électorale sa stratégie majeure pour arriver à gouverner ou pour peser sur les politiques menées par les gouvernements bourgeois. Les élections européennes vont être un élément central dans cette stratégie dans les prochains mois.
Aucune réponse institutionnelle, aucun rempart « républicain » ne saura faire reculer électoralement l’extrême droite sans contre-offensive générale de notre camp en France et à l’échelle européenne. La campagne des élections européennes sera pour nous une occasion importante de défendre à large échelle une perspective de classe : les travailleurs et travailleuses n’ont rien à attendre des gouvernements de droite ou de gauche qui mènent des politiques austéritaires au service des grands groupes capitalistes, de milliardaires qui n’hésitent pas à s’appuyer sur la démagogie anti-immigrés pour diviser le camp des travailleurs, pour paralyser notre capacité à lutter ensemble contre le système d’exploitation capitaliste. L’extrême droite ne mènera pas une autre politique, avec de surcroît une offensive réactionnaire contre les droits des femmes, des LGBT comme en Pologne ou en Hongrie. Avec le nationalisme et la xénophobie comme étendard, elle n’a d’autre but que de détourner notre classe de ses vrais ennemis, la bourgeoisie et le patronat bien de chez nous. Dans les luttes et les élections européennes, nous aurons à mener cette propagande dans les mois à venir.
CPN des 9 et 10 décembre 2023
Texte adopté par 41 voix pour, 1 abstention, 5 NPPV