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Le « devoir conjugal » est une « servitude sexuelle »


 

 

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné la France pour avoir jugé « fautive », dans le cadre d’une procédure de divorce, une femme refusant des relations sexuelles avec son époux. Quand bien même une femme n’a aucunement à justifier son choix de refuser des rapports sexuels, cette dernière avait exposé une situation conjugale violente à son encontre et celle de sa fille.

Lorsque la requérante demande le divorce, la cour d’appel de Versailles, dans un jugement empreint de toute l’audace patriarcale, avait prononcé en 2019 un divorce à ses torts exclusifs, considérant que le refus répété de relations sexuelles constituait une « faute ».

Ce jugement intervient alors même que, depuis le 5 septembre 1990, le Code pénal réprime le viol conjugal. La décision de la CEDH jette surtout une lumière crue sur le concept de « devoir conjugal », héritage d’une époque où le mariage était ouvertement considéré comme un contrat de soumission. Pendant des décennies, le mariage a été interprété par certains tribunaux, mais aussi par une grande partie de la société, comme un contrat incluant une obligation sexuelle. En clair, dire « oui » à l’église ou à la mairie aurait été également un « oui » permanent au lit.

Depuis plusieurs années, les militantes et militants féministes se battent contre la culture du viol et ont réussi à mettre en avant la notion de consentement. La condamnation pour faute en cas de refus de rapports sexuels par les tribunaux apparaît aujourd’hui pour ce qu’elle est : une caution légale aux agressions sexuelles. Pourtant, cette affaire rappelle que les droits des femmes sont encore loin d’être garantis, et que le mariage demeure pour beaucoup une institutionnalisation de l’oppression des femmes.

Ailleurs dans le monde, la situation est alarmante. En Afghanistan, depuis le retour des talibans au pouvoir, les femmes sont de plus en plus contraintes à des unions maritales sans consentement, tandis que les violences domestiques restent largement tolérées. Selon l’Unicef, 12 millions de filles sont mariées chaque année dans le monde avant l’âge de 18 ans, souvent à des hommes bien plus âgés. Par ailleurs, 37 États américains autorisent encore le mariage des mineurs avec des adultes. Ces unions, souvent imposées, ont des conséquences dramatiques : exposition accrue aux violences domestiques, problèmes de santé et abandon scolaire.

Comme le disait si justement la révolutionnaire Clara Zetkin : « Il n’est pas permis à ceux qui combattent pour la libération de tout le genre humain de condamner la moitié de l’humanité à l’esclavage politique et social par le biais de la dépendance économique. » Car le mariage dans la société capitaliste n’est bien souvent rien de plus qu’un contrat économique et une chaîne pour les femmes. Une conception qui, à bien des égards, reste encore tristement d’actualité et qu’il faut continuer à combattre sans relâche.

Nora Debs