Interview de Vanina Biasi, du Parti ouvrier (PO), du Plénier des travailleuses (PDT)1, et députée élue au sein du FIT-U2 : « Milei n’a pas osé abroger la loi sur l’avortement parce qu’il constate qu’il est face à un mouvement avec une forte présence dans la rue. »
Les manifestations ont été massives et il y a eu des cortèges indépendants du péronisme, comme cela a été discuté dans les assemblées féministes de préparation au 8 mars. Quel a été l’impact de ces cortèges ?
Les mobilisations ont été très massives, dans un contexte de forte intimidation de la part du gouvernement, notamment dans la ville de Buenos Aires, où la répression est orchestrée à la fois par le gouvernement national de Milei et le gouvernement local de Jorge Macri3. Les revendications liées aux femmes et aux minorités de genre n’étaient pas les seules à se faire entendre. Les slogans principaux revendiquaient la grève nationale et un plan de lutte nécessaire pour mettre fin au « plan tronçonneuse » de Milei. À partir d’organisations d’extrême gauche, d’assemblées populaires et de Unidxs por la cultura4, nous avons manifesté jusqu’à la place du Congrès, battant en brèche un protocole répressif qui était inapplicable le jour de la manifestation. Pour ce qui est de l’espace lié au péronisme et aux bureaucraties syndicales, ces derniers ont essayé de cacher leur propre responsabilité dans l’arrivée au pouvoir du président d’extrême droite Milei, et ils ont surtout à tout prix évité de critiquer la CGT et la CTA5 qui sont en train de réaliser une grande trêve avec le gouvernement au milieu d’une liquidation historique des revenus des travailleurs. La journée a été un succès et un point de référence qui a montré une fois de plus que Milei n’a pas osé abroger la loi sur l’avortement dans son DNU et dans sa loi Omnibus6 parce qu’il constate qu’il est face à un mouvement avec une forte présence dans la rue.
Les attaques de Milei pleuvent sur tous les fronts, comment continuer à articuler toutes les luttes, et surtout, comment s’unir avec l’extrême gauche et tous ceux qui veulent se battre ?
Depuis le Partido Obrero (PO), nous impulsons fortement toutes les instances organisationnelles nécessaires pour mettre les travailleurs et le peuple en général debout face au plan de guerre de Milei. Nous nous concentrons ces jours-ci sur la défense de l’indépendance vis-à-vis de tous les gouvernements forgés en 30 ans dans le domaine des droits de l’homme, depuis l’Encuentro Memoria Verdad y Justicia7, à l’occasion de la marche du 24 mars, qui doit être massive mais qui ne doit en aucun cas avoir la prétention de museler les secteurs indépendants8 et l’extrême gauche. En ce sens, nous sommes également à l’origine de la proposition d’organiser au cours du mois d’avril une assemblée nationale des travailleurs et des chômeurs, des assemblées populaires, des Unidxs por la Cultura et de tous les secteurs en lutte, afin de faire converger les voix pour exiger des centrales syndicales la fin de la trêve et le déclenchement de la lutte nécessaire pour mettre un terme aux licenciements au sein de l’État, à la fermeture et à la privatisation de secteurs entiers, aux licenciements dans le secteur privé touché par la crise économique.
Le 13 avril, vous convoquez une assemblée nationale des salariés et des chômeurs de tous les secteurs en lutte. Quelles sont les orientations en cours de discussion pour vaincre Milei ?
Demain, le 20 mars, aura lieu la première étape de l’assemblée nationale que nous promouvons avec les assemblées populaires et les secteurs syndicaux militants. Dans le domaine de la lutte pour les droits des femmes, les secteurs indépendants et ceux liés à l’extrême gauche seront présents, et nous travaillons pour que d’autres secteurs se joignent à cette lutte. Les discussions portent clairement sur les exigences envers les centrales syndicales que les secteurs péronistes ne veulent pas mettre en place. Elles portent aussi sur l’idée que l’arrivée de Milei est due au fait qu’il y a eu « beaucoup de féminisme » comme l’a souligné Cristina Kirchner9 elle-même autour du 8 mars, sur la définition d’un programme de classe autour des femmes, puisque le mépris, la surcharge que représente le care pour les femmes, l’empêchement de l’accès à la justice, la question du logement sont des questions clés qui ont conduit les secteurs populaires à soutenir le gouvernement d’Alberto Fernandez10, de Cristina Kirchner et de Sergio Massa11.
Compte tenu du poids de la religion12 en Argentine et dans les quartiers populaires, comment avez-vous réussi à les mobiliser pour le 8 mars et quelles ont été les difficultés rencontrées ? Comment s’est déroulée la mobilisation au sein du mouvement piquetero13 ?
Le mouvement piquetero est avant tout le mouvement le plus durement touché par les politiques du gouvernement national : la répression se déchaîne surtout sur ces secteurs, les coupes budgétaires sur les conquêtes concernent aussi surtout ces secteurs14, et ils sont particulièrement diabolisés par les dirigeants du gouvernement. Dans ce contexte, la journée du 8 mars a été marquée par des événements importants, mais aujourd’hui ce n’est plus le centre d’intérêt de ce mouvement face à tant d’attaques, de faim et de désespoir. Néanmoins, la journée a comporté des actions importantes menées par les femmes qui portent principalement les comedores populares15, dénonçant la baisse des aides du gouvernement national et réclamant également la mise en place de structures dans leurs quartiers pour faire face aux situations de violence. Cette présence était notable et a été reprise par tous les médias présents lors de cette journée de lutte dans l’ensemble du pays. Les secteurs religieux sont aujourd’hui et ont toujours été un facteur de contention pour les secteurs populaires. Dans les bidonvilles, ils opèrent toujours pour éloigner les secteurs qui souffrent des coupures budgétaires de ceux qui se mobilisent et qui luttent. Tous ces secteurs reçoivent des fonds importants pour remplir ce rôle d’endiguement. C’était le cas sous les gouvernements précédents également, mais aujourd’hui ils ont été choisis par le gouvernement comme les seuls intermédiaires reconnus pour recevoir de la nourriture pour les comedores, ce qui renforce leur pouvoir face aux secteurs qui ont faim. La lutte pour l’assemblée nationale des travailleurs occupés et des chômeurs fait partie des initiatives de lutte avec lesquelles nous organisons le mouvement, parallèlement à un agenda de revendications locales urgentes liées à la question du travail, du logement, de l’insécurité dans les quartiers et des problèmes d’infrastructure dans les quartiers.
Vanina Biasi
Propos recueillis le 19 mars
8 mars en Argentine
- Interview de Cele Fierro, du Mouvement socialiste des travailleurs (MST) au sein du FIT-U, et députée de la ville de Buenos Aires : « Le FIT-U doit s’élever au-delà d’un simple front électoral. »
- Interview de Vanina Biasi, du Parti ouvrier (PO), du Plénier des travailleuses (PDT), et députée élue au sein du FIT-U : « Milei n’a pas osé abroger la loi sur l’avortement parce qu’il constate qu’il est face à un mouvement avec une forte présence dans la rue. »
- Intervention de Manuela Castañeira, porte-parole de Las Rojas et du Nuevo MAS à la manifestation du 8 mars à Buenos Aires : « Nous sommes une marée et nous serons un tsunami ! »
1 Organisation féministe du PO
2 Frente de Izquierda y des Trabajadores – Unidad (Front d’extrême gauche et des travailleurs-Unité), front électoral composé des principaux partis d’extrême gauche : Parti des travailleurs socialistes (PTS), Parti ouvrier (PO), Mouvement socialiste des travailleurs (MST) et Izquierda Socialista (IS).
3 Maire de Buenos Aires depuis décembre 2023.
4 Uni.e.s pour la culture, collectif de lutte des travailleurs et travailleuses de la culture, très actif contre Milei.
5 Confédération générale du travail et Centrale des travailleurs d’Argentine, les deux principaux syndicats du pays.
6 Deux méga-décrets de Milei. Le DNU a été rejeté par le Sénat le 14 mars, son vote doit encore être soumis à l’Assemblée. La loi omnibus, rejetée début février est de nouveau brandie par Milei, dans une forme réduite visant notamment à s’attirer les faveurs des gouverneurs des provinces.
7 Coordination de plus de 300 organisations préparant la mobilisation annuelle autour du 24 mars, date anniversaire du coup d’État de Videla en 1976, ouvrant la voix à neuf années de dictature portant un bilan de 30 000 disparus.
8 Indépendant du péronisme.
9 Présidente d’Argentine de 2007 à 2015.
10 Président de 2019 à 2023 (vice-présidente : Cristina Kirchner).
11 Ministre de l’Économie du gouvernement précédent. Était le candidat qui faisait face à Javier Milei au deuxième tour des élections.
12 Christianisme, en particulier les évangélistes.
13 Mouvement de chômeurs.
14 Le protocole répressif, aussi surnommé « anti-Piquetes », de la ministre de l’Intérieur Patricia Bullrich vise en premier lieu à mater les mobilisations de chômeurs.
15 Soupes populaires tenues par des organisations comme celle du Polo Obrero pour le PO subventionnées par l’État.