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À nouveau menacée, la maternité des Lilas se mobilise

Un dimanche de juin au parc Lucie Aubrac (Les Lilas, Seine-Saint-Denis), le soleil est au beau fixe, et les discussions fusent autour d’un joyeux buffet. Au loin, la banderole « maternité des Lilas en colère » nous rappelle qu’aujourd’hui ce n’est pas le printemps qui réunit une centaine de personnes, mais l’invitation du collectif de soutien de la maternité à l’annonce de sa fermeture imminente. Après avoir obtenu un an de sursis sous la pression de la mobilisation, son activité devait s’arrêter le 1er juin 2023. Sa fermeture devrait finalement avoir lieu en novembre, mais le personnel ne sait pas à quoi s’attendre. Quid du devenir de l’équipe soignante et des différentes usagères de l’établissement ?

Quinze ans d’attaques, la coupe est pleine

Dans cette clinique militante, l’équipe soignante voit ses nerfs mis à rude épreuve1. La maternité des Lilas est ballotée depuis 2009 entre une reconstruction, pourtant validée par l’ARS, qui ne verra jamais le jour2, le projet d’un déménagement à Montreuil peu viable selon l’équipe et son comité de soutien, ou bien divers adossements à d’autres hôpitaux rejetés les uns après les autres. En déficit croissant, du fait d’un bail particulièrement déséquilibré et de l’absence de soutien de l’ARS, la maternité aurait dû perdre son autorisation d’exercer en juin 2022. Mais la manifestation fin avril du collectif composé de soignants et d’usagers a permis l’obtention d’un sursis d’un an de la part de l’ARS à condition que la maternité propose un « projet viable ». En réalité c’est l’ARS elle-même qui soumettra le projet d’un centre de santé en lieu et place de la maternité. Si la maternité ferme, ce centre devrait voir le jour en novembre et l’autorisation d’exercice a tout de même été renouvelé jusque-là pour maintenir dans le département du 93 une offre de soin durant l’été, période où beaucoup de services de maternité tournent au ralenti, vacances obligent. « Viable » peut-être, mais le projet de centre est prévu au rabais : « les anesthésies générales ne pourront pas y être pratiquées, ce qui diminuera les possibilités d’accouchements et d’IVG », alerte Corina Pallais, représentante syndicale Sud Santé au rassemblement.

Une maternité à rebours du capitalisme…

Ouverte en 1964, cette institution privée à but non lucratif est pionnière de par son point de vue féministe sur les accouchements et les IVG. Il s’agit d’une maternité de niveau 1 – accouchements ne présentant a priori aucun risque – qui propose des accouchements physiologiques sans douleur avec ou sans péridurale pour toutes, et dont le personnel solidaire lutte pour ne perdre ni ses postes ni ses valeurs. Les femmes viennent parfois de loin pour y accoucher et elles sont nombreuses à être venues soutenir la maternité ce jour. Les témoignages abondent de la part de parturientes qui se sont senties soutenues et rassurées par l’accompagnement quasi continu des sage-femmes de la maternité.

Dans cette société capitaliste où la gestion des hôpitaux publics est proche de celle des entreprises privées (marchandisation et déshumanisation des soins, sous-effectif comme nouvelle norme de fonctionnement, etc.), la maternité des Lilas, comme celle des Bluets (Paris, 12e arr.), fait figure de bulle de respiration et se bat pour faire survivre ce que pourrait être un modèle de santé basé sur le soin et non la rentabilité.

… mais qui en subit le rouleau-compresseur

Pour l’heure, les contours d’un tel modèle restent encore bien flous. Car si « les sage-femmes ne manquent pas aux Lilas » d’après Corina Pallais, la réalité du management capitaliste à l’hôpital rattrape l’établissement : vétusté des locaux non rénovés depuis les années 90, manque de matériel (un seul lève-malade dont le remplacement a paralysé le service durant trois mois), loyer exorbitant (+ 27 % d’augmentation) depuis son rachat par deux marchands de biens alliés à François Sarkozy, frère de l’ancien président de la République, ou encore actes médicaux jugés non rentables tant par la direction de la maternité que par l’ARS. Si les femmes se sentent si bien accompagnées c’est aussi parce que leur temps de séjour aux Lilas peut aller jusqu’à 5 jours (contre 4,3 en moyenne en France), que la grossesse ait connu des complications ou non. Ce qui est loin de plaire aux aficionados de la T2A (tarification à l’acte) que sont les établissements hospitaliers, Lilas compris, qui fixent désormais leurs tarifs en fonction des actes médicaux réalisés (quand autrefois ils recevaient une dotation globale) transformant ainsi l’hôpital en usine à rentabilité. Les maternités sont ainsi poussées à diminuer leurs temps d’hospitalisation et à pratiquer plus d’accouchements. Résultat, les équipes sont épuisées et à bout – ce que n’arrange pas le stress provoqué par les attaques incessantes qu’essuie cet établissement depuis 15 ans.

Si la maternité des Lilas ferme en novembre, c’est tout un territoire déjà gravement sous-doté en termes d’accès aux soins qui se verra privé de 1100 naissances et 300 IVG. Comme le soulignait Corina Pallais au rassemblement : « Nous restreindre, nous personnel de la maternité, c’est restreindre le choix des femmes et c’est pourquoi on va continuer de lutter. »

Sarah Thomas


 

1 Source Le Monde, https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/08/28/la-maternite-des-lilas-histoire-d-une-gabegie-financiere_6139289_3224.html

2 Source Le Monde, https://www.lemonde.fr/sante/article/2013/10/15/la-maternite-des-lilas-en-difficulte-financiere-denonce-un-acharnement_3494410_1651302.html