Le million de Libanais qui s’étaient réfugiés dans la partie nord du pays ont commencé à regagner le sud dès l’entrée en vigueur du cessez-le-feu le 27 novembre dernier, dans une ambiance de joie populaire (les restaurants distribuaient des repas gratuits sur le chemin) et de défi à Israël. Même s’ils trouvent souvent à l’arrivée leur quartier ou village en ruine.
Une rupture de la solidarité militaire entre les fronts libanais et palestiniens ?
Si le Hezbollah garde crédit à leurs yeux, comme le seul à les avoir défendus, les termes de l’actuel cessez-le-feu et le rapport de force sont pour ce parti plus défavorables que lors de la conclusion de la guerre de 2006 : les grandes puissances notamment reconnaissent explicitement la possibilité pour Israël d’intervenir militairement en territoire libanais. Et une centaine de violations du cessez-le-feu ont été perpétrées par l’armée de l’État d’apartheid israélien, rien que dans la semaine qui a suivi le cessez-le-feu : survol de Beyrouth par des drones, bombardements « ciblés », destructions de maisons à la frontière… Mais le Hezbollah semble résigné à tolérer cet état de fait. Plus largement, sa position a basculé sur un point clé : la signature d’un cessez-le-feu au Liban avait été jusqu’ici conditionnée à un cessez-le-feu à Gaza.
Une intégration croissante à l’État libanais ?
Le nouveau dirigeant du Hezbollah a effectué une déclaration d’intention indiquant une volonté de « renforcer les forces armées libanaises » et d’aboutir à la restauration de la stabilité des institutions confessionnelles de l’État libanais, avec l’objectif de l’élection d’un président. Alors que le Hezbollah s’est construit comme la force qui a refusé le désarmement à la fin de la guerre civile libanaise au nom de la lutte contre Israël, en construisant une « contre-société » à côté des institutions libanaises officielles, tout en ayant des ministres au gouvernement, son nouveau discours penche vers une intégration plus profonde dans les institutions étatiques. Le Hezbollah a choisi de signer le cessez-le-feu pour sauvegarder ses forces. Mais il a aussi sa place dans la gestion même du pays à sauvegarder. Car, sous la pression et avec l’appui financier des puissances occidentales, les autres composantes politiques du Liban, et en premier la bourgeoisie chrétienne maronite, tentent de renforcer une armée libanaise que le Hezbollah n’influencerait pas et serait tentée de désarmer en partie celui-ci, profitant de son affaiblissement militaire actuel.
Rien ni personne ne peut échapper bien longtemps à la lutte de classe
Mais en s’intégrant à la gestion du chantier de la « reconstruction » sous supervision impérialiste, le Hezbollah va inévitablement participer aux côtés de toutes les autres forces politiques institutionnelles au partage de la misère et fera face au mécontentement des travailleurs et paysans pauvres qui forment une bonne partie de sa propre base sociale. Il en a coutume : lors de la crise et des manifestations sociales de 2019, il était conspué par les manifestants au même titre que tous les autres partis au gouvernement.
Le Fatah et le Hamas, quant à eux, ont déjà signé un accord en vue de la formation d’un comité d’experts indépendants pour gérer Gaza à la fin de la guerre… Se partager les miettes, ou même les ruines, laissées par l’impérialisme et par l’État sioniste : voilà le programme qu’ils proposent aux travailleurs de Gaza ! À l’opposé de tels calculs, c’est bien la résistance acharnée et multiforme des peuples palestinien et libanais qui ont joué un rôle décisif pour révéler à quel point Israël était dépendant du soutien sur le plan militaire et financier des grandes puissances, contribuant ainsi à saper sa légitimité aux yeux d’une partie importante de la population mondiale.
10 décembre 2024, Arya Sitare