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Génocides : 80 ans après la libération d’Auschwitz

Entrée d’Auschwitz avec, au-dessus du portail, l’inscription cynique : « Le travail rend libre »…

Il y a 80 ans, le 27 janvier 1945, l’Armée rouge libère Auschwitz-Birkenau, le plus grand camp de la mort nazi. Alors que le monde se rend compte avec horreur de l’étendue des crimes hitlériens, il y a un sursaut moral contre de telles atrocités. Sa corrélation, le sursaut judiciaire, a commencé dès la fin de la guerre en 1945 avec le procès de Nuremberg. Le tribunal reconnaît coupables une douzaine de chefs du Troisième Reich et les condamnations vont de la peine de mort à la réclusion criminelle à perpétuité. Le tribunal invente la notion de crime contre l’humanité et dénonce l’antisémitisme, même s’il y a eu d’autres victimes du génocide (Tsiganes, homosexuels, handicapés). Si les nazis ont également assassiné des opposants politiques, cette dernière catégorie n’a pas été désignée dans son ensemble comme groupe humain distinct.

Trois ans plus tard, l’assemblée générale d’une toute nouvelle organisation – l’ONU – adopte la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Elle définit ce crime par « tout acte commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ». Côté répression, le procès de Nuremberg devient une référence incontournable et depuis, d’autres procédures pour de tels crimes sont entamées par une nouvelle instance de l’ONU, la CIJ (Cour internationale de justice), ainsi que par des tribunaux spéciaux créés par le Conseil de sécurité de l’ONU dans des situations spécifiques, comme le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et celui sur le Rwanda (TPIR).

Dont acte sur l’évolution positive du droit international humanitaire… sur le papier. Sur le terrain de la guerre, son efficacité a montré ses limites. Surtout sur le volet préventif. Car depuis le génocide juif, nombre d’autres génocides et purifications ethniques se sont déroulés sur la planète. On retient notamment le massacre des Tibétains par le régime maoïste dès 1959, le meurtre d’un tiers de la population cambodgienne par les Khmers rouges à partir de 1975, celui des Tutsis au Rwanda en 1994, des musulmans en Bosnie pendant la guerre des Balkans en 1995, ou bien le carnage contre des villages au Darfour par le régime d’Omar el-Bechir au Soudan à partir de 2003. Sans parler des atrocités commises contre les Ouïghours par la Chine à partir de 2009, ni du meurtre et de l’expulsion des Rohingyas par le gouvernement birman dès 2013. Certains de ces massacres relèvent juridiquement des crimes de guerre tandis que d’autres tombent sous l’accusation de génocide. Il est bien entendu que c’est cette dernière qualification qui s’applique à l’État d’Israël pour sa guerre à Gaza depuis le 7 octobre 2023. L’intentionnalité d’éliminer certaines populations ou de les forcer à l’exil par la terreur est le facteur déterminant pour définir s’il y a crime de génocide.

Tout cela est une accumulation d’atrocités contemporaines dans la foulée de la Seconde Guerre mondiale. Les génocides se sont produits depuis la nuit des temps, bien avant l’essor du capitalisme. Sans que le crime de génocide en soit le motif, la traite négrière qui a durée trois siècles a éliminé une partie significative de la population africaine. Sans oublier les guerres coloniales avec leurs massacres respectifs, que les puissances européennes ont livrées en Afrique et en Asie. Les citoyens des pays impérialistes comme la France en connaissent quelque chose. Quant au continent américain, les colonisateurs anglais, français, espagnols et portugais étaient à l’origine de la quasi-disparition de nations entières parmi les Amérindiens, mais pas principalement par la guerre. Les épidémies apportées par des colons européens – contre lesquelles les populations du Nouveau Monde n’avaient aucune immunité – ont tué plus que des affrontements armés. Mais puisqu’il y avait quand même des guerres de conquête, on peut dire que les Européens ont commis plusieurs génocides sur le continent américain. Tout comme l’élimination d’une bonne partie des Aborigènes en Australie par les colons anglais.

La Convention de l’ONU de 1948 identifie cinq actes constitutifs de génocide : meurtre, atteinte sévère à l’intégrité physique ou mentale, conditions d’existence entraînant la destruction physique des personnes, mesures entravant les naissances et transfert forcé d’enfants. Tous ces facteurs sont présents dans l’agression israélienne à Gaza. Surtout le blocage d’aide humanitaire (nourriture, eau, médicaments, carburant), sans oublier la destruction complète du système hospitalier dans le nord de ce territoire, la destruction ou l’endommagement de la plupart des hôpitaux au sud, la démolition ou les dommages infligés à 70 % de l’habitat et le déplacement forcé des populations d’un endroit à l’autre de cette enclave palestinienne. Sans oublier les déclarations incriminantes des dirigeants israéliens qui ne laissent aucun doute quant à leurs intentions : « Nous combattons des animaux humains », « Il n’y a pas d’innocents à Gaza », « Il faut détruire ce territoire sans pitié », « Tous les Palestiniens au-delà de l’âge de quatre ans sont impliqués », « On va ouvrir les portes de l’enfer », « Que les épidémies les achèvent », etc.

La plainte contre Israël déposée par l’Afrique du Sud – depuis rejointe par l’Irlande –, des plaintes privées déposées dans des juridictions nationales par de nombreux avocats et les accusations portées par des ONG comme Amnesty International et Human Rights Watch ont conduit à l’ouverture d’une instruction par la Cour internationale de justice. C’est le fruit de l’évolution du droit international qui, pour la première fois, se lève contre un pays considéré comme « occidental » (même s’il est situé dans l’Orient arabe). Le Tribunal pénal international a même émis des mandats d’arrêt contre le général Yoav Gallant, ministre israélien de la Défense au moment des faits, et contre Benyamin Netanyahou. C’est la première fois qu’une telle mesure est prise contre le chef en exercice d’un gouvernement « occidental ». Il arrive surtout dans la foulée de l’opinion publique mondiale – exprimée tant par des éditorialistes que par des manifestants – qui est majoritairement favorable aux droits des Palestiniens. Pour une fois, des voix du « sud global » se font entendre pour briser le monopole des chancelleries occidentales sur ce qu’on appelle pudiquement la « communauté internationale ». Il n’y a rien de tel que des mobilisations populaires pour faire bouger les lignes.

L’histoire nous dira la suite. En espérant qu’elle aboutira à des changements révolutionnaires en faveur des droits à l’autodétermination des peuples opprimés, et plus généralement en faveur des droits des travailleurs et travailleuses du monde entier.

Richard Wagman

 

 


 

 

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