Ci dessous, après la vidéo, l’article paru dans Révolutionnaires no 33
Pourquoi une grève à la SNCF ? Un cheminot répond !
SNCF — On a toujours raison de lutter
À propos des différents préavis de grève déposés à la SNCF du 5 au 10 mai, Philippe Tabarot, ancien sénateur Les Républicains et actuel ministre des Transports, ouvrait la traditionnelle campagne médiatique anti-cheminots vendredi 18 avril au micro d’Europe 1 et de CNews : « Ça commence à bien faire ! […] les contrôleurs de train ne sont pas les moins privilégiés. » Pour sûr qu’il s’y connaît en privilège, lui qui est toujours visé par une enquête du parquet national financier pour soupçons de détournement de fonds publics et prise illégale d’intérêts. Entre deux indignations mal placées, le ministre promettait que si les grèves n’étaient pas annulées, la proposition de loi dont il avait été à l’origine au Sénat pour interdire le droit de grève aux cheminotes et cheminots durant les ponts et les vacances scolaires pourrait bien ressusciter.
Ce cheminot-bashing n’a pas tellement besoin d’aide extérieure. Farandou, PDG du groupe SNCF, vantait récemment l’augmentation pharaonique de 21 % soi-disant perçue ces dernières années par la SNCF. Ces chiffres mélangent allégrement les fortes hausses chez les hauts cadres et les cacahuètes dans le collège ouvrier. Ils mélangent également augmentations générales, augmentations bien normales à l’ancienneté et la prime d’intéressement qui grandit parallèlement aux bénéfices, donc en fonction de l’intensité de notre propre exploitation ! Également incluses, des primes « one-shot » souvent résultat de luttes locales et maigres compensations à des restructurations qui aggravent la vie des travailleurs du rail.
Alors, « non légitimes et excessives » les revendications des cheminotes et cheminots ? Que ce soit les agents de conduite, les contrôleurs, les agents des ateliers de maintenance ou les agents commerciaux, tous ont en commun de revendiquer une augmentation pérenne de leur rémunération. Logique quand on sait que la direction de la SNCF, à coups de restructurations et de prix exorbitants de billets de TGV, a pu annoncer un bénéfice de 1,6 milliard d’euros pour l’année 2024… et 0,5 % d’augmentation générale des salaires pour 2025 ! Après une décennie 2010 où le 0 % d’augmentation générale était la norme, les comptes sont loin d’être soldés. Ouverture à la concurrence oblige, le patronat du ferroviaire, SNCF en tête, se fait même de plus en plus incisif en tentant de supprimer de-ci de-là des primes au nom de la compétitivité.
Agents de conduite : au jeu des mille bornes, on perd toujours !
Entre 2003 et 2013, plus d’un quart des effectifs d’agents de conduite ont été supprimés. Le jeu de massacre s’est arrêté, mais on ne s’en relève pas comme ça ! Les journées de travail se sont rallongées, le nombre de kilomètres parcourus a augmenté et les tâches à effectuer ont explosé.
Parce que la SNCF supprime des contrôleurs, on nous demande d’être seul agent à bord, de gérer les aléas et surveiller la descente et la montée des voyageurs à quai. Parce que les emplois d’agent aidant à la manœuvre des trains en gare et dans les dépôts ont été rabotés, on nous demande d’assumer ce boulot. Parce que les postes d’agents en gare se raréfient, on nous demande de faire tout un tas d’annonces dans les trains qu’on conduit. Avec ça, la SNCF trouve encore moyen de faire stagner nos rémunérations !
La prime traction, censée se baser sur le nombre de kilomètres parcourus, qui représente selon les cas entre un tiers et la moitié de la rémunération d’un agent de conduite, est en réalité une usine à gaz. Elle se trouve de plus largement amputée en cas d’arrêt maladie ou de réduction des plans de transports. Autant dire que les raisons de lutter pour des augmentations de salaire sont légion.
Contrôleurs SNCF : pour l’organisation du mouvement par les premiers concernés !
En 2022, le Collectif national des ASCT (agents du service commercial trains, dénomination des contrôleurs à la SNCF) est apparu pour répondre au vide laissé par les directions syndicales. Très vite, il a su trouver l’oreille de nombreux collègues qui se sentaient plus directement représentés par ce cadre hors des querelles syndicales et boutiquières habituelles.
Un espoir pour les contrôleurs de voir les choses enfin changer ? Malheureusement pas si sûr. Car face aux pressions conjointes du gouvernement et de la direction contre la grève à Noël 2022, le CNA ou du moins ses quelques porte-paroles nationaux auto-proclamés a cédé et appuyé les appels des directions syndicales à reprendre le travail. Près de trois ans après sa fondation, force est donc de constater que le CNA est loin d’avoir permis, ou même tenté d’impulser, le moindre fonctionnement démocratique à même de représenter la base des contrôleurs dans leurs mobilisations. Ce collectif a fini par se comporter comme un petit appareil, décidant sur des bases essentiellement corporatistes.
Aujourd’hui, tout laisse à penser que l’appel du CNA couplé à celui de SUD-Rail à un mouvement fort les 9, 10 et 11 mai sera largement suivi. Les nombreuses intentions de grève déjà déposées montrent qu’il y a une réelle envie d’en découdre.
Mais pour ne pas aboutir aux mêmes impasses, les grévistes devront se donner les moyens d’avoir leur mot à dire sur le déroulé de la lutte. C’est par des assemblées générales de grévistes qui pourraient permettre de décider collectivement du mouvement qu’il sera possible d’en avoir le contrôle et de l’arracher aux appareils syndicaux et à la direction du CNA.
Voilà qui aurait de quoi donner de vraies sueurs froides à la direction SNCF et au ministre Tabarot. Et de quoi inspirer de nombreux autres collègues à entrer dans la lutte !
Division par en haut, unité à la base ?
Dur de bien s’y retrouver ! La fédération CGT-Cheminots a déposé un préavis de grève pour les agents de conduite et les contrôleurs de train à partir du 5 mai, avant de peut-être appeler tous les cheminots à une journée de grève en juin. La fédération SUD-Rail, appelle à un genre de grève tournante. Les agents des gares sont censés ouvrir le bal de la grève le 5 mai. Mais prière de quitter la piste pour la laisser aux agents des ateliers le 6. Place ensuite aux agents de conduite le 7. Et le clou du spectacle : les contrôleurs du 09 au 11 mai. Partout, des revendications similaires mais des dates différentes selon les syndicats… Les cheminotes et cheminots, eux, auront sans doute et avec raison le sentiment de participer au même mouvement. Cet émiettement pose la question de la rémunération sous l’angle des primes liées à chaque métier, plutôt que comme un combat commun de tous les salariés de la SNCF… ou de tout le pays !
D’autant qu’une fois la piste chauffée par cette semaine rouge de grève, pas impossible que l’envie prenne aux travailleurs du rail d’un rappel collectif pour aller au bout du bras de fer avec la direction.
La condition sera de prendre cette lutte en main, en s’organisant par la base. Ces dernières années, les précédents commencent à être nombreux où des directions syndicales ont posé des préavis de grève corporatistes puis négocié avec la direction… et ont purement annulé les préavis jugeant que rien ne pouvait être obtenu de plus, sans laisser la possibilité aux travailleurs de se rassembler ne serait-ce que pour dire ce qu’ils en pensaient. Il appartient donc aux cheminotes et cheminots de trouver en assemblées générales les chemins de l’unité à la base, avec en tête que toutes les grandes victoires sociales ont été le résultat de grèves capable de faire boule de neige et de représenter une menace collective pour le patronat.
Correspondants
(Article paru dans Révolutionnaires no 33)