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Hôpital Delafontaine (Saint-Denis) : la réanimation néonatale en grève

 

Le service de réanimation néonatale en grève illimitée pour obtenir des embauches et une revalorisation salariale

Un an après la grève de novembre 2021 en réanimation néonatale à l’hôpital Delafontaine, toute l’équipe paramédicale du service s’est remise en grève le 29 décembre, et entend bien « la maintenir le plus longtemps possible ».

Le constat est resté le même, l’équipe, qui a fondu en quatre ans, passant de 56 à 39 aujourd’hui, travaille sous tension. Les infirmières dénoncent les conséquences de ce sous-effectif : surcharge de travail, épuisement physique et moral du personnel, mise en danger des nouveau-nés, qualité des soins affectée, report de soins. Elles redoutent qu’un incident mortel n’arrive. « On ne veut pas aller en  prison, on ne veut pas se retrouver face à des familles qui auraient connu un drame. » Si le risque existe ailleurs dans le secteur hospitalier, comme en témoigne le cri d’alarme du syndicat Samu-Urgences de France qui estime pour le seul mois de décembre à plus de 160 le nombre de morts faute de soins ou de prise en charge adaptée, on comprend l’inquiétude de ces infirmières et auxiliaires de puériculture, dont le service est spécialisé dans le suivi des grossesses pathologiques et des grands prématurés.

« On vient au travail avec la boule au ventre, en se demandant combien de bébés vont naître, qui va craquer aujourd’hui. Plusieurs fois j’ai vu mes collègues pleurer parce qu’elles étaient à bout. » L’endurance au stress, les infirmières de réanimation néonatale y sont pourtant rompues : « On a choisi de travailler dans un service où il y a beaucoup de stress, lié à la détresse respiratoire ou l’irrégularité cardiaque des bébés prématurés. On a signé pour ça, mais pas pour devoir jongler avec les bébés, être au four et au moulin, à la fois passer les commandes de pharmacie, nettoyer les incubateurs, et réaliser les soins infirmiers. » La charge de trois à quatre bébés par infirmière, dans les conditions actuelles du service, est bien au-delà du ratio bébé-IDE/IPDE[1] de deux pour une soignante fixé par décret[2] pour la réanimation. « On court tout le temps, même trouver le temps d’aller aux toilettes, c’est devenu difficile. »

Le service fonctionnant à flux tendu, il n’est pas rare de devoir prendre sur son temps de récupération, enchaîner nuit et journée de travail, et accumuler les heures supplémentaires. « Ce qui nous fait tenir et faire autant d’heures supplémentaires, c’est la solidarité entre collègues, pour ne laisser personne en galère. » Mais ce rythme a des impacts sur la vie personnelle : « Avec le peu de repos qu’on a, on ne voit plus nos familles. » Quand cela ne débouche pas sur des arrêts ou des accidents de travail, voire des départs définitifs, difficiles à remplacer dans les conditions de travail et de rémunération actuelles du service.

Par cette grève, les infirmières exigent des embauches d’infirmières et la création, qui leur avait été refusée à l’issue de la grève de novembre 2021, de postes pérennes[3] d’auxiliaires de puériculture pour les soulager d’une partie de leur charge de travail, mais aussi une revalorisation des salaires, seule réponse adaptée au sous-effectif, n’en déplaise à Macron qui a rabâché dans ses vœux aux soignants que la situation critique de l’hôpital public « n’est pas un problème d’argent ». Sur la rémunération des heures supplémentaires, la direction a cette fois cédé : elles seront payées au double, comme c’est déjà le cas dans d’autres services de l’hôpital, notamment en pédiatrie.

C’est bien trop peu pour démobiliser les grévistes et remiser au placard affiches et banderoles qui continuent de décorer le service, malgré les opérations répétées de décrochage par la hiérarchie, « on joue au chat et à la souris avec la direction », qui enlève d’un jour sur l’autre les affiches, ou en tronque le message. « Ils s’amusent à enlever “en danger” sur les affiches “bébés en danger”, c’est abusé. » Pour tourner en dérision la direction qui tente ainsi d’invisibiliser la grève, les infirmières ont placardé des avis de recherche de leurs banderoles : « Wanted : banderoles réa néonat en grève ».

Déçues par l’attitude de la direction, elles ne s’en étonnent pas pour autant. Elles ont eu à affronter des vents contraires dès le dépôt du préavis de grève. Le directeur des ressources humaines a exigé, après un entretien avec le chef du service, que le préavis ne couvre que l’équipe paramédicale du service, pour empêcher le soutien de l’équipe médicale : la direction se permettrait de décider qui peut se déclarer gréviste ! « Déjà qu’on n’est entendu par personne, c’est difficile à entendre que l’équipe médicale ne soit pas solidaire de notre mouvement. » En cause, leurs revendications, qui portent aussi sur l’organisation du travail et la communication avec l’équipe médicale. « On demande simplement à ce qu’on nous explique, on a une capacité de réflexion et de compréhension, on voudrait être mieux informées des entrées dans le service », pour être en mesure de mettre en face les capacités réelles de prise en charge par l’équipe paramédicale.

Les conditions particulières de cette grève dans laquelle, comme souvent à l’hôpital, les grévistes sont « assignés » par la direction à travailler pour assurer la continuité du service, et leur isolement au sein de l’hôpital, qu’elles regrettent en témoignant « ne pas avoir trop de liens avec les autres services, c’est dommage », les interrogent sur comment poursuivre et renforcer leur mouvement. Si la direction devait cesser d’assigner certaines d’entre elles, entraînant pour celles-ci des pertes de revenu, elles se disent prêtes à s’organiser pour les dédommager et maintenir l’unité de leur mouvement. « Il y a tellement de solidarité entre nous, on ne veut pas se laisser diviser. » Cette solidarité, elles aimeraient aussi la construire avec les autres collègues de l’hôpital, personnel des urgences pédiatriques, sages-femmes, personnel administratif faisant fonction, etc., qui se sont mobilisés sur les mêmes revendications ces derniers mois et années.

Correspondante

 

[1] Infirmière diplômée d’État/Infirmière puéricultrice diplômée d’État.

[2] Le ratio est de trois pour une en soins intensifs et de six par infirmière en néonatalogie.

[3] Actuellement, les auxiliaires de puériculture doivent cumuler deux années de CDD avant de pouvoir espérer une titularisation.


Lire aussi notre article du 19 février : Réanimation néonatale de Saint-Denis : « 42 jours de grève, et on a gagné ! »