Il est midi samedi 12 août, à Saint-André-lez-Lille. Les premiers soutiens commencent à affluer vers la fête qui se tient sur le piquet de grève de la Halte Saint-Jean d’Emmaüs, pour un moment festif, collectif et revendicatif. Dans une ambiance combative, on est accueilli par des slogans au rythme des percussions : « Travailleurs, avec ou sans papiers, solidarité ! ». Cela fait 43 jours, depuis le 4 juillet, que les 21 travailleurs sans-papiers de la Halte Saint-Jean, soutenus par le comité 59 des sans-papiers et la CGT, sont en grève pour exiger leur régularisation immédiate.
Une traite d’êtres humains accompagnée d’une stratégie d’isolement
Au cours des discussions, c’est toujours le même constat qui revient : ayant rejoint la communauté pour sortir de la rue en échange d’un petit boulot, ces travailleurs dénoncent en réalité une exploitation sans vergogne se rapprochant de l’esclavage. « La directrice se croit encore au temps des cannes à sucre ! », entend-on au micro au moment des prises de parole. Et pour cause : un rythme infernal de 40 heures de travail par semaine à vendre des articles, entretenir des bâtiments, réparer des appareils électro-ménagers, débarrasser des meubles. Tout cela pour un « pécule » de 150 euros par mois, une fois déduits les charges liées à l’électricité, au chauffage et aux dépenses du quotidien, jusqu’aux produits alimentaires fournis par Emmaüs qui dépassent souvent leur date de péremption. Les communautés Emmaüs ne recherchent certes pas le profit, mais la direction de la Halte Saint-Jean oblige à des quotas de vente en menaçant les compagnons sans-papiers de sanctions financières. Pour leur faire accepter cette situation, la direction leur avait promis une régularisation au bout de trois ans, sans leur fournir des fiches de paie nécessaires pour pouvoir y prétendre. Résultat : certains attendent leur régularisation depuis 2018. Tout cela est accompagné de menaces d’expulsions du territoire permettant d’exercer une pression constante sur ces travailleurs. La directrice de la Halte Saint-Jean s’est servi de leur vulnérabilité pour leur interdire les visites sur leur lieu de vie, refuser des arrêts maladie et fouiller leurs appartements. C’est tout cela qui a attisé leur révolte et les a conduits à la grève illimitée. Et ce qu’ils fêtent aujourd’hui dans la joie, c’est la force et le courage qu’ils ont trouvés en luttant pour retrouver leur dignité.
« Hier colonisés, aujourd’hui exploités, aujourd’hui régularisés ! »
Déterminés et soudés, les grévistes veulent pouvoir travailler et vivre dignement. Pour cela, ils revendiquent leur régularisation mais aussi d’être reconnus comme des travailleurs salariés à part entière. En effet, les compagnons d’Emmaüs, avec ou sans papiers, se voient aujourd’hui refuser le statut de salariés au motif mensonger qu’il n’existerait pas dans ce type de relation de « lien de subordination » nécessaire à l’établissement d’un contrat de travail1. Plus largement, le combat des grévistes est celui des dizaines de milliers de travailleurs sans-papiers qui, sur le territoire français, sont soumis à de redoutables conditions de travail par ceux qui les exploitent, patrons d’entreprises ou associations, et de toute la classe ouvrière qui pâtit de ce nivellement par le bas. On ne peut que les soutenir et souhaiter que cette lutte se poursuive.
Correspondant
1 Source : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/JORFARTI000019860604