Alors qu’au nord de la Syrie les supplétifs de la Turquie, les milices regroupées sous le sigle d’ANS (Armée nationale syrienne) épaulées par l’armée turque, continuent leurs opérations militaires contre la région autonome à majorité kurde, en Turquie le fondateur du parti nationaliste kurde PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), Abdullah Öcalan, vient de lancer, de la prison où il est enfermé depuis 1999, un appel à déposer les armes et dissoudre le PKK. Il accompagne son appel d’une analyse théorique : avec « l’effondrement de la construction du socialisme » (dont à l’époque se réclamait Öcalan), la situation aurait changé par rapport à celle des années 1990 et le PKK « a perdu sa signification originelle ». La solution serait désormais dans le développement d’une société démocratique, explique-t-il, saluant les gestes en ce sens du pouvoir turc : « L’appel récent de M. Devlet Bahçeli, l’engagement démontré par le président et les approches positives des différents partis politiques ont contribué à l’émergence de cette nouvelle phase. »
Si Erdoğan cherche un compromis avec le mouvement nationaliste kurde, c’est avant tout par crainte que le mouvement kurde de Syrie (PYD proche du PKK ), qui contrôle la région nord-est du pays (le Rojava), ne renforce les revendications autonomistes en Turquie. Le président turc vient de remporter une victoire par l’arrivée au pouvoir en Syrie (il est vrai avec l’appui aussi des États-Unis et d’Israël) de son protégé, le mouvement islamiste HTC. Mais la région à majorité kurde garde encore son autonomie, d’où cette guerre qu’Erdoğan mène contre elle en même temps que sa tentative de neutraliser le mouvement kurde en Turquie même, en marchandant avec ses leaders.
En Turquie alternent aussi marchandages et répression contre le PKK et contre le parti légal pro-kurde DEM (Parti pour l’égalité et la démocratie des peuples). Ce parti, créé en 2012 (sous le sigle HDP), a eu des succès électoraux en 2019 avec de nombreux maires élus dans les régions à majorité kurde, et nationalement en 2023, avec 5 millions de voix et 61 députés. Depuis, le régime a destitué 143 des 167 maires DEM, le dernier en novembre 2024 alors que les marchandages étaient engagés avec Öcalan. Fin novembre 2024, 230 personnes étaient arrêtées pour soutien au PKK, dont 12 journalistes. Entre le 14 et le 19 février derniers, encore 300 arrestations pour lien avec le terrorisme ! Répression d’un côté, promesse de libération d’Öcalan de l’autre. Les deux volets d’un chantage d’Erdoğan qui pourrait avoir besoin des voix du parti DEM pour la réforme constitutionnelle qui lui permettrait de briguer un nouveau mandat présidentiel.
La force des Kurdes de Turquie est qu’ils sont la fraction la plus nombreuse et la plus ouvrière (et combative) de ce peuple kurde, écartelé par des frontières créées jadis par l’impérialisme au Moyen-Orient entre la Turquie, l’Iran, l’Irak et la Syrie. Leur lutte pour les droits démocratiques de minorité nationale est indissociable de la lutte de la classe ouvrière du pays à laquelle ils appartiennent. La dictature d’Erdoğan et de son parti islamiste l’AKP au pouvoir, épaulée par des partis et milices d’extrême droite, n’a eu de cesse de tenter de réduire son influence. Aujourd’hui avec l’aide d’Öcalan ? Ce qui souligne, dramatiquement, combien les politiques nationalistes, même réputées radicales, s’opposent à l’internationalisme ouvrier.
Olivier Belin