Nos vies valent plus que leurs profits

Auxiliaires de vie Domidom : après la grève, la lutte continue !

Mardi 18 octobre, une douzaine d’auxiliaires de vie de l’agence Domidom de Caen décidaient de se mettre en grève pour les salaires. Elles étaient alors loin de se douter que leur grève durerait 45 jours. C’est le temps qu’il leur a fallu lutter pour contraindre leur employeur, filiale du groupe Orpea, à céder sur une partie significative des revendications pour toutes les salariées du groupe, soit près de 900 salariées, pas loin de 70 fois le nombre des grévistes au début du mouvement ! Trois mois plus tard, où en sont les grévistes ?

Il a bien fallu reprendre…

Après 45 jours de grève, retourner au travail n’était pas une évidence. La grève, ce n’est certes pas les vacances, mais les grévistes se sont senties incomparablement plus libres, car elles décidaient elles-mêmes chaque jour quoi faire et où aller. Reprendre, ça voulait dire perdre la main sur sa journée, suivre un planning établi par la direction. En même temps, il y avait aussi la hâte de retrouver les bénéficiaires des soins dont elles se sentaient les plus proches. Et une appréhension aussi : quelques familles s’étaient plaintes pendant la grève que leurs proches étaient « abandonnés ». Une critique qui, bien malgré elle, signalait l’importance du travail des auxiliaires…

Finalement, la routine quotidienne s’est peu à peu remise en place, permettant au passage d’apprécier les gains de la grève. Le salaire augmenté de 10 %, ce n’est pas rien ! Le remboursement des frais de déplacement est passé de 31 à 45 centimes par kilomètre. Il a amené la direction à davantage sectoriser les interventions, de sorte qu’il est maintenant plus rare de traverser l’agglomération de Caen entre deux missions. Les grévistes sont partagées. Certaines estiment que la direction trouve là le moyen de réduire le montant payé à la fin du mois, puisque les trajets sont raccourcis et l’indemnité diminuée d’autant. D’autres voient d’abord l’économie d’essence et de fatigue liée à la conduite.

Il reste de toutes façons bien des combats à mener. Le temps alloué à chaque intervention est sous-évalué et ne tient pas compte de la difficulté à se garer à proximité, du temps encore nécessaire pour aller du véhicule au domicile du bénéficiaire, en passant par le digicode, l’ascenseur. Et puis il y a aussi la sous-évaluation des besoins des bénéficiaires. Chez l’une d’entre eux, les auxiliaires qui se relaient ont constaté des soucis d’hygiène qui débordent des tâches fixées. À raison de deux heures une fois dans la semaine, il n’est pas possible de faire des miracles. Il vaudrait mieux une visite d’une heure tous les jours du lundi au vendredi. Chez d’autres, le doublage avec un ou une salariée du Siad (Service infirmier d’aide à domicile) le matin permet de sortir le bénéficiaire de son lit à deux avant la toilette, mais, le soir venu, l’auxiliaire Domidom se retrouve seule pour le coucher, au risque de s’abîmer le dos.

M6 plante un couteau dans le dos des auxiliaires

Dimanche 29 janvier, le magazine télévisé Zone interdite consacrait son émission aux auxiliaires de vie pour dénoncer… leur prétendu manque de conscience professionnelle ! C’est une réalité que les agences recrutent pratiquement n’importe qui, tant la pénurie de main-d’œuvre dans le secteur est générale. En se faisant embaucher par une agence pour mieux enquêter « undercover », les journalistes ont pu filmer en caméra cachée des scènes de maltraitance ou bien des auxiliaires laissant des personnes âgées croupir dans leur crasse et passant le temps de leur mission sur leur téléphone. Mais au lieu de ramener ces comportements à ce qu’ils sont, c’est-à-dire ceux de brebis galeuses et pas de la majorité des salariées du secteur, l’émission a mis tout le monde dans un même sac, livré en pâture aux téléspectateurs. C’est à peine si les payes misérables et les conditions de travail calamiteuses – le secteur compte en moyenne trois fois plus d’accidents du travail que le bâtiment – ont été évoquées, alors qu’elles sont évidemment à l’origine de l’engrenage qui pousse certains salariés à se montrer négligents, voire maltraitants.

Dès le dimanche soir, le WhatsApp des grévistes crépitait de messages. Elles qui se sont battues pour être reconnues, qui pensaient avoir marqué des points durant la grève et après – l’une d’elles a participé au débat sur les retraites sur BFM-TV au soir de la première journée de grève, et profité de l’occasion pour lancer un appel à toutes les auxiliaires de vie du pays pour qu’elles s’organisent –, M6 ruinait des semaines d’efforts en quelques heures. Certaines grévistes en venaient, sans trop y croire cependant, à se demander s’l ne fallait pas voir derrière l’émission une riposte des patrons du secteur. Mais l’état d’affolement de la direction le lendemain ne laissait aucun doute : à elle aussi l’émission avait porté un coup.

18 octobre 2022 : premier des 45 jours de la grève des Domidom de Caen, les grévistes s’adressent à la manifestation contre la casse des lycées professionnels.

Ce n’est qu’un début…

Une direction qui doit composer avec un groupe de salariées que la grève a soudées. « On sent que notre cohésion la dérange », dit l’une d’elles. Certes, il n’a pas été évident pour toutes de refaire grève pour la défense des retraites. Certes, aux élections professionnelles qui viennent d’avoir lieu, une écrasante majorité des salariées Domidom des autres agences du pays, plus de 90 %, n’a pas voté. À se demander si elles ont été informées du rôle de la grève dans l’augmentation récente des salaires – l’information figurait dans le matériel électoral de la liste montée par les grévistes avec la CGT, mais à elles-mêmes il a fallu une semaine de grève pour comprendre qu’elles étaient censées participer aux élections précédentes… Quoi qu’il en soit, à Caen, les grévistes savent qu’elles peuvent compter les unes sur les autres. Et c’est à construire de tels liens avec les collègues des autres agences qu’elles comptent bien s’atteler.

Laissons le mot de la fin à une gréviste : « Il faut défendre nos droits, la parité, l’égalité salariale, ou la prise en compte de la grossesse dans la retraite. Les femmes, dans les salles de sport, sont encore regardées de travers par certains hommes, en mode “qu’est-ce qu’elle fait là, celle-là ?” Faut qu’on crie haut et fort qu’on a notre place ! Il y a encore un travail monstre. »

Correspondant


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