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IVG : où en est-on ?

L’avortement est revenu sur le devant de la scène récemment dans le cadre du débat autour de son inscription dans la Constitution. Les discussions à l’Assemblée ont été l’occasion de sorties réactionnaires de la part de la droite et de l’extrême droite, à l’image de cette député LR qui voulait inscrire également dans la Constitution « le respect de tout être humain dès le commencement de la vie ». Finalement, l’inscription de l’IVG dans la Constitution, en tant que « liberté », a été votée à une petite majorité. Une avancée significative ?

Ce vote du Sénat se situe dans un contexte où le droit des femmes à disposer de leur corps recule partout. Dans le monde, l’IVG reste interdite dans une vingtaine de pays – et lourdement punie, comme au Salvador, où il en coûtera jusqu’à huit ans de prison à une femme qui avorte. En Europe, on enregistre des reculs sans précédent. La Hongrie force maintenant les femmes à écouter les battements de cœur de leur fœtus, et en Pologne, depuis 2020, elle n’est plus autorisée qu’en cas de malformation du fœtus ou de maladie incurable détectée, ce qui a occasionné le décès de nombreuses femmes à la grossesse compliquée, le départ de bien d’autres à l’étranger pour avorter (plus de 1 540 selon les associations), et de nombreuses vies balafrées par une grossesse dont il est impossible pour les femmes d’assumer les conséquences.

Instrumentalisation politique

Le climat politique, sur fond de profits record pour les uns et d’inflation pour les autres, de guerre, mais aussi de mobilisations sociales en divers endroits du monde, est marqué par une offensive de l’extrême droite. Cette dernière s’est même retrouvée au pouvoir dans plusieurs pays européens, de la Hongrie à l’Italie. Cette extrême droite, qui donne dans la xénophobie, fait aussi de la question des droits des femmes et des minorités de genre un marqueur. Pour exemple, le nouveau gouvernement de Meloni a mis en place un ministère de la « Natalité ». Mais ce genre de démagogie « travail, famille, patrie » se retrouve aussi bien au RN que dans la frange la plus radicale des Républicains aux États-Unis.

Et même la gauche s’y met. En octobre dernier, à peine arrivé au pouvoir, Lula s’engageait « à respecter la vie dans toutes ses étapes » puis s’affirmait contre l’avortement : une passe très claire aux partisans de Bolsonaro. Et cela alors que l’Amérique latine a précisément connu un mouvement pro-avortement d’une ampleur inédite ces dernières années, en Argentine, au Mexique ou au Chili.

Face à cette offensive réactionnaire devant laquelle tombent toutes les digues, l’initiative de l’inscription de l’IVG dans la Constitution peut sembler séduisante. Elle suit celle de députés européens qui ont affirmé cet été leur volonté d’inscrire l’avortement dans la Charte des droits humains de l’Union européenne. Le rempart institutionnel semble pourtant bien peu efficace contre les politiques qui imposent des reculs sociaux et sociétaux. Comme aux États-Unis, où la révocation de l’arrêt « Roe versus Wade » par la Cour suprême a ouvert la voie à l’interdiction de l’avortement dans les États les plus conservateurs, à présent souverains sur la question… et qui ne se sont pas privés d’enlever aux femmes les moyens d’avorter. La décision d’abroger l’arrêt qui protégeait l’IVG en faisant de celui-ci un droit garanti par la constitution américaine manifeste la faiblesse de ce genre de barrière. Charte des droits humain ou constitution peuvent être piétinées si la situation s’y prête, si cela sert le fonds de commerce réactionnaire et nataliste de certains politiciens, et si cela permet de faire des économies de bouts de chandelle aux frais des femmes les plus fragiles financièrement.

L’IVG à géométrie variable

Si les femmes qui ont les moyens peuvent aller avorter à l’étranger dans les pays où l’avortement n’est pas autorisé, celles qui ne trouvent pas le soutien et l’argent nécessaire subissent leur destin. Ainsi, au Portugal, tous les frais de l’avortement sont à la charge de la femme qui veut avorter… une belle illustration du caractère de classe de ces interdictions. En plus de cliver la population, de diviser les travailleurs en jouant sur les préjugés sexistes, les politiques anti-avortement s’attaquent dans les faits aux plus pauvres.

En France, les femmes se font souvent ponctionner par les professionnels de santé, qui se taillent des marges sur le dos des femmes qui avortent. En effet, le remboursement de l’IVG n’est pas tout à fait complet. Certains médecins jouent sur les plafonds : puisque l’assurance maladie ne rembourse que 35,5 euros pour une échographie basique (obligatoire, pour dater le début de la grossesse), des professionnels de santé réalisent une échographie plus complexe – et souvent superflue ! – facturée entre 54 et 100 euros. Les femmes doivent sortir de leur poche la partie non remboursée… Même chose pour les dépassements d’honoraire, qui sont arrangés par certains médecins ou cliniques pour rendre l’acte plus rentable.

La rentabilité tue l’IVG. Et c’est cette logique du plus rentable qui dirige l’hôpital, poussant nombre de centres hospitaliers à supprimer des services qui effectuent des actes médicaux qui ne rapportent pas assez. Comme des maternités, où se pratiquent aussi les IVG. C’est donc bien de choix politiques qu’il s’agit. Celui d’injecter de l’argent dans le budget de l’armement ou dans des subventions au patronat, et d’en priver l’hôpital ou les associations qui prennent en charge l’IVG, comme le Planning familial, a un impact direct sur le droit des femmes. Économie de bouts de chandelle disions-nous : entre 2007 et 2017, 45 établissements hospitaliers pratiquant l’IVG ont été fermés, et, depuis une quinzaine d’années, 130 centres d’IVG.

Ces coupes franches font reculer un accès à la santé déjà difficile pour celles qui habitent dans les régions dites « désertées » par la médecine. Mais aussi dans les autres : partout, les délais pour obtenir les rendez-vous nécessaires s’allongent pour les femmes qui veulent avorter. On voit alors, comme avant la loi Veil, des femmes qui prennent le bus pour la Hollande ou l’Espagne, s’endettant pour payer un avortement qu’elles ne peuvent plus réaliser en France, leur grossesse étant trop avancée.

Les contraintes économiques qui pèsent sur l’hôpital empêchent les femmes d’avoir un accès plein et entier à l’avortement. Il les empêche aussi d’avoir le choix de la méthode : c’est majoritairement la méthode médicamenteuse, que la patiente peut réaliser seule chez elle, et ne nécessitant ni médecin, ni bloc opératoire, qui est privilégié depuis la fin des années 1990. Au risque de mettre des femmes en danger. En effet, la Haute Autorité de santé recommande de pratiquer l’IVG médicamenteuse jusqu’à neuf semaines dans un hôpital ou une clinique, et jusqu’à sept semaines dans un cabinet ou dans un centre spécialisé. Pourtant, selon les données du Planning familial en 2019, 25 établissements qui pratiquent l’IVG proposent de la réaliser par voie médicamenteuse au-delà de neuf semaines. Dangereux, peut-être, mais plus expéditif et moins cher. Au-delà de la restriction du droit à l’IVG, c’est la question des conditions dans lesquelles celles-ci se pratiquent qui est posée.

Leur « conscience » et la nôtre

En plus de la dégradation du système de santé, les femmes font les frais de la bonne conscience des médecins qui refusent de les avorter. Dans bien des pays, la « clause de conscience », qui permet aux praticiens de refuser d’exercer certains actes médicaux, est largement utilisée contre l’avortement. Comme en Argentine ou en Italie – où, en 2014, 69 % des gynécologues ont utilisé la clause de conscience. Mais cette clause n’est pas seulement mobilisée par les médecins dans les pays où l’Église catholique est puissante. En France également, bien des maternités peinent à trouver des médecins qui pratiquent l’avortement. Sans parler des praticiens indépendants ou des cliniques qui saupoudrent parfois de « conscience » leur appât du gain : l’avortement, ça ne rapporte pas !

S’il a été discuté de la suppression de la fameuse clause à l’Assemblée en 2021 – proposition de loi finalement rejetée –, la position officielle affichée par le corps des gynécologues approuve son existence. Bertrand de Rochambeau, le président du Syndicat national des gynécologues-obstétriciens de France, disait encore en 2019 : « Nous ne sommes pas là pour retirer des vies. Et que la majorité des médecins soit réticente à le faire, moi, je le comprends très bien. » En revanche, mettre en danger la vie d’une femme qui ne peut pas accueillir une grossesse ne semble pas poser de problème à ce monsieur.

Ce n’est pas sur les médecins, ni sur le gouvernement qui passe son temps à rogner dans les budgets de la santé, qu’il faudra compter. L’avortement est le fruit d’une lutte, le défendre en sera une également. Car aucun droit, même inscrit dans la Constitution, n’est indéboulonnable. Et l’on sait à quel point l’exercice d’un certain nombre de droits est rendu impossible du fait d’intérêts financiers – il en est ainsi du droit au logement. Mais, au-delà même du respect des droits fondamentaux de l’individu, nous sommes pour que les femmes ne soient pas forcées de devenir mères et puissent décider de faire des enfants si elles veulent et quand elles veulent. Car, dans la société actuelle, cela revient le plus souvent à épouser un destin qui les éloigne d’autres activités sociales, les maintient rivées au foyer, dans la gêne financière ou dans la dépendance de leur conjoint.

C’est pour défendre le droit de choisir, en partie au moins, leur destin que les femmes se sont battues dans les années 1960 et 1970, au travers du Mlac (Mouvement pour liberté de l’avortement et de la contraception), souvent au risque de perdre de leur emploi ou de comparaître devant la justice. C’est toute une partie de la société qui a dit non à la morale puritaine et hypocrite qui conduisait à criminaliser l’avortement et à mettre en danger la vie de milliers de femmes tous les ans. C’est devant cette insubordination des femmes et de ceux qui les soutenaient que l’État a cédé sur l’avortement en 1975, et certainement pas devant la complainte de Simone Veil – qui n’a fait que prévenir ses collègues du danger, encore lors de son fameux discours à l’Assemblée : « Lorsque l’écart entre les infractions commises et la répression est tel, c’est le respect des citoyens pour la loi et donc l’autorité de l’État qui sont mise en cause. »

Nous ne sommes pas de ces féministes qui veulent restaurer l’autorité de l’État. Si elles veulent choisir jusqu’au bout leur destin, les femmes ont intérêt, au contraire, à participer à la lutte pour sa destruction, contre le capitalisme, et pour construire une société débarrassée de l’exploitation et des oppressions.

Mona Netcha

 
 

 


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