« Le reste à charge pour votre ordonnance est de 400 dollars, est-ce que vous vous y attendiez ? » Cette phrase, prononcée dans une pharmacie aux États-Unis, reflète la situation de plus en plus d’Américains dans un système de santé qui fait beaucoup parler depuis l’assassinat du PDG d’une des plus grandes compagnies privées d’assurance santé en décembre dernier.
Près de 25 % des adultes aux États-Unis ont déclaré qu’eux-mêmes, ou un membre de leur famille, avait sauté des doses de médicaments, coupé des pilules en deux ou n’avait pas rempli une ordonnance au cours de l’année écoulée en raison de son prix. 41 % des adultes américains sont endettés à cause de factures médicales impayées.
Dans la première économie mondiale, il n’y a pas de système de soins de santé public et c’est la responsabilité de chacun de souscrire à une assurance horriblement chère. 54 % des travailleurs ont accès à une mutuelle à travers leur employeur. Ceux qui n’en bénéficient pas et qui sont au-dessous du seuil de pauvreté peuvent être couverts par le « Medicaid », et les personnes âgées ont accès au « Medicare ». Si l’on n’a pas de travail mais qu’on n’est pas au-dessous du seuil de revenu fixé pour bénéficier d’une assurance subventionnée par l’État, on peut être obligé de payer environ 10 000 dollars par an pour une assurance privée. Conséquence logique : 8 % des Américains ne sont couverts par aucune assurance maladie. Comme le séjour à l’hôpital coûte en moyenne 11 000 dollars, le « choix » de ne pas souscrire d’assurance maladie dans le « pays de la liberté » revient à jouer à la loterie avec sa propre santé. Et comme si ça ne suffisait pas, au moment où l’on perd son travail à cause d’une maladie (parce qu’aux États-Unis l’arrêt maladie n’existe pas), on perd aussi l’assurance maladie qui lui est liée ! De plus, comme les employeurs ne sont pas obligés de proposer une assurance aux salariés à temps partiel pendant les premiers 90 jours d’un contrat, ou aux travailleurs saisonniers ou temporaires, ce sont les travailleurs ou chômeurs les plus précaires qui ont à charge la totalité de leurs frais médicaux éventuels. Marche ou crève !
Les deux assurances subventionnées par l’État fédéral sont l’une réservée aux personnes âgées et l’autre à celles et ceux qui se retrouvent dans la plus grande misère. Cette dernière n’est pas nationale : elle est organisée dans chaque État, et l’État fédéral impose peu de contraintes. Les modalités varient donc beaucoup. Ces assurances ne sont souvent pas gratuites et il est compliqué de s’y inscrire et d’y rester éligible. Elles s’affichent « publiques » mais ne sont pas disponibles pour tout le monde. Du coup, elles ne sont pas en concurrence avec les autres compagnies privées et elles ne contribuent pas à la baisse des frais de santé.
Même pour un travailleur dans la « meilleure » situation, couvert par une bonne assurance à travers son employeur, ça coûte très cher. L’assurance santé coûte entre 1 000 et 1 500 dollars par an. La franchise s’élève en moyenne à 1 735 dollars par an. Ces prix ont augmenté de 7 % en 2023, en même temps que les coûts de l’alimentation, de l’essence et du logement dans la même année où les compagnies d’assurance ont réalisé des milliards de dollars de profits.
Lorsque quelqu’un doit payer des frais médicaux, la compagnie d’assurance peut retarder ou refuser une demande d’indemnisation. Sur un an, environ un patient sur cinq se voit refuser une demande d’indemnisation ou davantage. Si une demande n’est pas acceptée, c’est souvent que le traitement ne peut pas être mis en œuvre, les demandeurs restant sans soin dans l’attente de l’approbation. Les contrats sont de plus obscurs ; il est souvent difficile de savoir quels services de santé sont couverts par l’assurance et il est plus compliqué encore d’introduire un recours lorsqu’une demande est refusée.
Pas étonnant donc que la colère monte contre les compagnies d’assurance. Pas étonnant non plus que ce soit très probablement une victime de ces escrocs ayant pignon sur rue qui se soit érigée en justicier solitaire et ait assassiné Brian Thompson, le PDG de UnitedHealth. Luigi Mangione, l’assassin présumé, était une de ces victimes du système de santé. Après une chirurgie de la colonne vertébrale ratée, ses demandes d’assurance pour le traitement de ses douleurs chroniques ont été refusées. UnitedHealth a réalisé en 2023 un bénéfice de 16,4 milliards de dollars et a rejeté un tiers des demandes de prise en charge médicale. Les compagnies d’assurance réalisent des milliards de dollars de profit avec la santé des Américains, sur leurs maladies, leurs accidents et leurs douleurs.
Une partie des députés démocrates ont proposé une extension des options de mutuelles publiques à tous les citoyens américains pendant le mandat d’Obama (2008-2012), mais ils n’ont pas réussi à le faire adopter. À la place d’un vrai choix public, ils ont fait passer un projet de loi qui met en place quelques réglementations sur les compagnies d’assurance et qui subventionne les coûts de santé privés pour celles et ceux dont les revenus sont inférieurs à quatre fois le seuil de pauvreté national. Ce seuil est fixé si bas, autour de 15 000 dollars par an (c’est beaucoup moins que le loyer annuel d’une petite chambre dans une grande ville) que même un revenu quatre fois supérieur reste bas. Ces réformes ont toutefois permis à 30 millions d’Américains d’obtenir une assurance maladie, mais une assurance insuffisante, difficile à comprendre et qui reste très chère. Quinze ans plus tard, alors que le besoin n’a fait qu’augmenter, l’idée d’une véritable assurance publique est complètement abandonnée par les démocrates.
La majorité des Américains ne sont pas contents de la qualité des soins de santé aux États-Unis. Mais même les promesses vagues d’une mutuelle pour tous les citoyens américains, comme Obama s’y était engagé (et qui excluaient de toute façon au moins neuf millions d’enfants et travailleurs sans papiers), sont jugées trop radicales par une bourgeoisie à l’offensive contre la classe ouvrière.
Le système de santé aux États-Unis est un des plus performants de monde, mais à part une poignée de privilégiés, les Américains sont loin d’avoir accès à des soins suffisants. Le système de santé américain privilégie le profit des capitalistes à la tête des secteurs de la pharmacie, de la technologie médicale et de l’assurance plutôt qu’être un système qui garantit la santé gratuite pour tous.
Sylvie Carlson