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Guerre au Liban : une nouvelle étape dans la politique expansionniste de l’État d’Israël

Beyrouth bombardé

Amassés à la frontière avec le Liban après avoir accompli leur sale besogne sur le front gazaoui, les chars de l’armée israélienne ont franchi la « ligne bleue », matérialisée, depuis le retrait des troupes israéliennes du Liban en 2000, par des barils bleus déposés par les Nations unies sur la frontière entre les deux pays. L’armée israélienne veut profiter de l’impunité dont ses alliés l’ont de fait assurée depuis le déclenchement de la guerre à Gaza il y a un an, pour pousser ses pions en territoire libanais. Comme elle l’a fait à de nombreuses reprises par le passé : une première fois en 1978, occupant une bande de territoire libanais qu’elle considère depuis comme sa « zone de sécurité » ; une deuxième fois en 1982, en poussant ses troupes jusqu’à Beyrouth ; puis à nouveau en 2006, en pilonnant un mois durant les habitations et les infrastructures de la banlieue sud de Beyrouth, laissant toute une partie de la capitale en ruines.

Une sale guerre préparée en toute impunité

Cette impunité à conduire une guerre tous azimuts, Netanyahou s’en vante aux yeux du monde en déclarant devant les 193 États membres de l’assemblée générale des Nations unies réunie la semaine dernière qu’« Israël veut et appelle la paix », au moment même où il déclenchait son offensive contre le Liban, alors qu’un accord était parallèlement signé avec les États-Unis pour un nouveau plan d’aide militaire de 8,7 milliards de dollars.

Au milieu du bruit assourdissant des raids et des sirènes d’alerte antiaérienne, les appels américains à un cessez-le-feu n’ont jamais été aussi hypocrites et criminels. De quoi ajouter à la colère contre l’État d’Israël celle contre cet allié américain qui ânonne depuis le 7 octobre dernier, malgré le génocide à Gaza et le massacre annoncé au Liban, qu’Israël « a le droit de se défendre ».

L’opération terrestre de l’armée israélienne au Liban intervient après une offensive aérienne qui a visé, la semaine dernière, les zones d’évolution du Hezbollah, le Sud-Liban, la Bekaa (à l’est) et la banlieue sud de Beyrouth, tuant des dizaines de responsables du parti chiite, dont le secrétaire général Hassan Nasrallah, ainsi que le chef du Hamas au Liban et des militants de la Jamaa Islamiya et du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP). Mais ce sont aussi plus de 700 personnes qui ont été tuées dans des frappes sur des infrastructures civiles et des quartiers où le gouvernement israélien dit soupçonner des caches d’armes du Hezbollah. Elles s’additionnent aux victimes des explosions des moyens de communication du Hezbollah provoquées la semaine précédente par le Mossad, tuant et blessant sans discriminer les militants du Hezbollah et les civils dans leur famille, sur leur lieu de travail ou dans les lieux publics.

Un acharnement qui dure depuis 1948

Le Liban n’a pas participé aux premières guerres qui ont opposé depuis 1948 Israël aux pays arabes de la région : ni à la première guerre qui éclate en 1948 au lendemain de la création d’Israël, ni à la guerre de 1967, ni à celle dite « du Kippour » en 1973. Mais, sans être belligérant, le Liban n’en est pas moins aux yeux d’Israël « le dernier champ de bataille israélo-arabe »1 depuis les paix séparées entre Israël, l’Égypte et la Jordanie.

C’est en effet vers le Liban qu’ont fui le plus grand nombre de réfugiés palestiniens devant l’avancée de l’armée israélienne, à la création de l’État d’Israël et à mesure que celui-ci repoussait ses frontières au-delà du plan de partage de l’ONU de 1947. Des centaines de milliers de Palestiniens, pauvres pour la plupart, se sont amassés dans une douzaine de camps au Liban, où beaucoup de leurs descendants vivent encore aujourd’hui. Dans ces camps de réfugiés est née une génération de combattants palestiniens, les fedayins, qui ont incarné un nouvel espoir pour les Palestiniens et pour les masses arabes après les défaites des armées arabes face à Israël. Ils ont été rejoints et renforcés au début des années 1970 par des milliers de combattants palestiniens qui fuyaient les camps de Jordanie après le massacre de « Septembre noir », où 5 000 d’entre eux avaient été tués par l’armée jordanienne et leurs structures de combat démantelées, et au fil des ans par les déplacés internes issus de l’exode rural et de la migration forcée du sud et de l’est du Liban.

Le Liban, foyer de contestation anti-impérialiste

Ainsi, au Liban, pays très inégalitaire où aujourd’hui encore 1 % de la population détient 60 % de la richesse nationale, la solidarité entre les populations pauvres et le mouvement palestinien a été naturellement forte, et les courants de pensée anti-impérialistes qui traversaient le monde dans les années soixante et soixante-dix particulièrement influents.

Lors des élections d’avril 1972, les partis de la gauche libanaise avaient ainsi obtenu un score sans précédent malgré un mode de scrutin confessionnel qui leur était défavorable, et un quart des sièges à l’Assemblée. Leur poids était aussi perceptible dans l’intensification des luttes sociales entre 1972 et 1975, débouchant sur pas moins de quatre grèves générales sur cette période. Ces partis de la gauche libanaise se réclamant du marxisme ou du panarabisme contestaient à l’unisson la domination impérialiste sur la région, qui s’est historiquement appuyée en ce qui concerne le Liban en particulier sur les divisions confessionnelles en favorisant les communautés maronite et druze, et dont Israël a constitué à partir de sa création en 1948 le principal vecteur. Mais ils contestaient aussi le système politique libanais, hérité de la puissance coloniale française, par lequel le pouvoir est réparti par consensus entre les « élites » autoproclamées des différentes communautés en fonction de leur poids démographique, et concentré entre les mains des chefs des familles dominantes de chaque communauté.

Au nom des intérêts de la partie la plus privilégiée de la grande bourgeoisie libanaise, la fraction dominante chrétienne maronite, des milices chrétiennes d’extrême droite ont déclenché en 1975 des combats contre les organisations de la gauche libanaise et les milices palestiniennes. C’est dans ces combats, débouchant sur quinze années de guerre civile, que s’est engouffrée l’armée israélienne en envahissant le Liban en 1978. Le prétexte était en effet trop beau pour les différentes forces réactionnaires en présence et leurs bras armés, milices chrétiennes, armée syrienne qui s’est portée au secours des milices chrétiennes, et armée israélienne, pour se débarrasser d’un même coup de la révolte sociale libanaise et des combattants palestiniens.

Troisième guerre contre le Liban

L’armée israélienne a ainsi pénétré au Liban pour la première fois en 1978, pour repousser les combattants palestiniens et établir une zone tampon de 700 km² entre la frontière israélo-libanaise et la rivière Litani. C’est cette zone qu’elle considère depuis comme une « zone de sécurité » et que l’offensive militaire actuelle vise a minima à reconquérir. Pour donner le change à l’ONU, dont une résolution de 1978 lui enjoignait de retirer ses troupes du Sud-Liban, l’armée israélienne a délégué l’occupation de cette zone à des mercenaires libanais qu’elle a équipés et structurés en une Armée du Liban-Sud (ALS). Cette armée supplétive comptera au plus fort de son existence 3 000 hommes, principalement maronites et chiites, qui ont fait régner la terreur dans cette bande de territoire large de cinq à trente kilomètres, incarcérant et torturant près de 5 000 personnes, combattants du Front de la résistance nationale libanaise (FRNL), d’organisations palestiniennes, plus tard du Hezbollah, ou simples habitants refusant leur joug.

Cette occupation à peine voilée du Sud-Liban n’a pas empêché Israël d’envahir à nouveau le Liban en 1982, envoyant à l’assaut de Beyrouth plus du double du contingent mobilisé en 1978. L’objectif affiché de cette opération macabre baptisée « Paix en Galilée », dont le prétexte a été la tentative d’assassinat à Londres de l’ambassadeur israélien par un groupe palestinien dissident du Fatah, était à nouveau de faire cesser les attaques lancées par l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) depuis le Liban.

Retranchées dans Beyrouth, les forces de l’OLP n’en étaient pas moins redoutables pour les troupes israéliennes faisant le siège de la ville. Dès leur entrée au Liban, les troupes israéliennes avaient rencontré une résistance à laquelle elles ne s’attendaient pas et nombreuses furent leurs pertes dans la prise et, surtout, l’occupation de Tyr, la grande ville du Sud-Liban. Les nombreuses pertes de soldats israéliens jointes à l’évidence que l’invasion du Liban n’avait rien de défensif ont provoqué des manifestations monstres en Israël même, sous l’égide de l’organisation La Paix maintenant : les temps n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui… Israël se révélant dans l’incapacité politique et partiellement militaire de venir à bout de la résistance palestinienne, ce sont les puissances impérialistes occidentales, États-Unis et France en tête, qui sont intervenues pour mettre un terme à la guerre. Yasser Arafat et la direction de l’OLP acceptèrent d’être évacués vers la Tunisie sous l’égide des puissances occidentales. Il faut dire que, alors qu’une alliance de la résistance palestinienne avec les masses pauvres du Liban et de la région aurait pu ouvrir de tout autres perspectives, Yasser Arafat, déclarait : « Tout ce qui se passe au Liban, est injustifiable. La révolution palestinienne sait pour sa part que le véritable champ de bataille se trouve en Palestine et qu’elle ne peut tirer aucun bénéfice d’une bataille marginale qui la détournerait de son véritable chemin. »

Le départ de l’OLP vers la Tunisie laissait les camps de réfugiés palestiniens sans défense. S’en suivra le massacre de 3 500 à 5 000 Palestiniens dans les camps de réfugiés de Sabra et Chatila en septembre de la même année par les milices chrétiennes d’extrême droite, aidées par les troupes israéliennes qui avaient encerclé le quartier et empêché les Palestiniens de fuir.

L’écrasement du mouvement ouvrier et de la gauche libanaise dans ces années de la guerre civile libanaise et le départ des combattants palestiniens ont laissé en quelque sorte le champ libre à cette nouvelle organisation politique communautaire, le Hezbollah, qui se présentait en défenseur des masses pauvres du Liban, ou plus exactement de celles de la communauté chiite (l’une des plus pauvres du pays).

Les troupes israéliennes ne se retireront complètement du Liban qu’en 2000, retrait largement porté au crédit du Hezbollah. Mais elles relanceront une nouvelle offensive en territoire libanais en juillet 2006, au prétexte de libérer deux soldats israéliens détenus par le Hezbollah. Pendant un mois, l’armée israélienne a alors bombardé la banlieue sud de Beyrouth, tuant un millier de personnes et détruisant massivement habitations, infrastructures et industries, dont la reconstruction a été évaluée à plusieurs milliards de dollars.

Créer une zone tampon au Sud-Liban ?

Le projet de réinstaller une zone militaire tampon au sud du territoire libanais a ouvertement été défendu par l’ancien ministre de la Défense israélien d’extrême droite, Avigdor Lieberman, en janvier dernier : pour lui, Israël devrait « réoccuper le Sud-Liban pour au moins une cinquantaine d’années ». Ce projet est-il aujourd’hui réactivé par Netanyahou autant pour accaparer une partie des eaux de la rivière Litani pour irriguer les terres israéliennes tout en recréant une zone militarisée sous son entier contrôle ? On ne sait pas jusqu’où il compte aller.

Il ne faut rien espérer des puissances occidentales, incapables de se faire entendre de Netanyahou, à supposer qu’elles le veuillent vraiment. On aimerait que s’exprime enfin un ras-le-bol d’une partie de la population d’Israël elle-même. Car, rappelons-le, en 1982, les manifestations en Israël contre l’invasion du Liban et les refus d’obéir de centaines de soldats ont grandement pesé dans la fin du siège de Beyrouth ; tout comme ont pesé les milliers de « refus de servir » lors de la première intifada ou d’une autre guerre du Liban, celle de 2006.

Aujourd’hui, ces « refuzniks » sont hélas bien moins nombreux. Qu’il en existe, malgré la propagande écrasante du régime et la répression, est aussi le résultat de la longue lutte des Palestiniens contre le colonialisme sioniste.

En tout cas, au vu de ce qu’on sait du rôle de l’ONU et de sa Finul (force de l’ONU au Liban censée s’interposer) dans le passé, ce ne sont pas ses réponses « diplomatiques » ou les appels hypocrites des grandes puissances à la « modération » qui suffiront à mettre un terme à l’état de guerre permanente que l’État d’Israël inflige aux populations du Liban, de Gaza et de Cisjordanie. Seule la colère des peuples le pourra.

Charlie Oviedo

1  L’expression est de l’universitaire Élisabeth Picard, spécialiste du Liban et de la Syrie.

 

 


 

 

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