Nos vies valent plus que leurs profits

Trump : l’impérialisme sans fard

L’omniprésence médiatique de Trump, sa manière tonitruante de lancer une provocation avant de passer sans transition à la suivante, a de quoi donner le tournis à tous ceux qui cherchent à combattre sa politique. La psychologie du personnage pourrait assurément être l’objet d’une étude fascinante, tant elle en dit long sur la société qui a pu produire un tel individu et le porter au pouvoir. Mais la première puissance mondiale n’est pas gouvernée par des coups de folie, même de celui qui a la main sur le bouton rouge de l’arme nucléaire la plus puissante. Rupture avec le régime précédent par la grâce d’une élection ? Ou continuité d’un État américain prêt à tout pour maintenir son hégémonie désormais contestée ? L’avenir le dira, résultat des offensives et des ripostes à venir. Quelle est la particularité de la méthode Trump dans la défense des intérêts du grand capital américain ?

Capitalisme et oligarchie

L’inauguration du 47e président a été l’occasion d’une démonstration publique de la fusion entre le grand capital et les sommets de l’État. Musk, dans les pas de Henry Ford, lui aussi patron américain d’une firme automobile il y a près d’un siècle, affiche ouvertement ses sympathies nazies. Zuckerberg, Altman et Bezos, qui avaient manifesté une opposition timide sous le premier mandat, faisant à tort le calcul que le trumpisme ne serait qu’un phénomène passager, ont choisi cette fois de faire la courbette (« kiss the ring » disent les Américains). Et de passer un deal avec la nouvelle administration : devenir ses attachés de presse en renonçant à tout type de modération ou « fact-checking » dans leurs empires médiatiques (médias traditionnels et réseaux sociaux) et récupérer des subventions colossales – le plan Stargate de développement de l’IA promet de les financer à hauteur de 500 milliards de dollars !

La compétition fait rage entre la Chine et les États-Unis, en particulier dans le secteur de la tech que l’État américain considère comme stratégique du fait de ses applications de défense, de renseignement, de surveillance et de maintien de l’ordre. La Chine n’a pas tardé à répondre à la démonstration de force que constituait l’investiture de Trump (à laquelle Xi Jinping était personnellement invité) en lançant son modèle d’IA low-cost et open source DeepSeek quelques jours après, occasionnant une chute spectaculaire du groupe américain NVidia en bourse.

Réformer l’État pour qu’il soit encore plus efficace au service du capital

Musk incarne le grand capital sous perfusion de l’État : ses entreprises industrielles SpaceX et Tesla ont bénéficié de gigantesques subventions, au titre de la défense d’un côté et de la transition énergétique de l’autre. Il prend aujourd’hui la tête de Doge, un programme de réduction drastique de la dépense publique qui ne ciblera que les services utiles à la population ou à l’environnement. Une cure d’austérité contre les services publics afin de continuer à subventionner les grands groupes privés – dont les siens. On n’est jamais mieux servi que par soi-même !

La méthode procède d’une stratégie du choc sous forme d’un « reset » : annonce de la fermeture pure et simple d’une agence ou de la coupe brutale de ses crédits. Certainement suivie d’une reconstruction à moindre coût avec des fidèles aux postes clés. C’est ainsi que sont mises en cause toutes les normes environnementales – qui souffraient déjà de nombreuses exceptions et n’étaient pas respectées. Les encouragements à produire toujours plus de pétrole et de gaz sur le territoire américain (« Drill, baby, drill ») s’inscrivent dans la continuité des choix faits durant l’administration Obama et qui ont depuis fait des États-Unis le premier producteur mondial. Comme son prédécesseur, et comme tout pays producteur d’hydrocarbures, Trump cherche à atteindre le point d’équilibre (« sweetspot ») entre offre et demande qui permet de maximiser les profits. La différence avec une administration démocrate est l’abandon de toute tentative de greenwashing – qui s’en plaindra ? À moins d’avoir des illusions dans les vertus pédagogiques de paroles en contradiction flagrante avec les actes ?

La fermeture brutale du National Labor Relations Board (NLRB) est un autre exemple. Cet organisme a été créé pendant la vague de grèves de 1935 pour gérer les relations entre les travailleurs et les patrons afin de tenter de mettre un terme aux rébellions des travailleurs. C’est une instance de prétendu « dialogue social », dévouée aux intérêts patronaux, destinée à canaliser la colère des travailleurs dans des formes bureaucratiques. Mais comme toute instance de ce type, elle doit parfois défendre les droits minimaux des travailleurs et de leurs syndicats. Depuis que Trump a démis de ses fonctions des membres clés, l’organisme ne fonctionne plus. Cela signifie que les travailleurs n’ont personne vers qui se tourner s’ils sont injustement licenciés, ou si Amazon, Starbucks ou Tesla sabotent illégalement une élection syndicale, ou si Amazon refuse de négocier avec un syndicat formé par les travailleurs. Ce n’est pas une coïncidence si Elon Musk et Jeff Bezos ont tous deux intenté des poursuites pour que le NLRB soit déclaré anticonstitutionnel. Sans pleurer la mort du prétendu « dialogue social », nous devons préparer les conditions pour que les mêmes Musk et Bezos regrettent d’avoir réprimé les syndicats, comme les patrons français ont regretté amèrement lors de la grève générale de 1936 de n’avoir pas pu trouver des « interlocuteurs raisonnables » dans chaque usine, capables de mettre fin plus rapidement au conflit.

Une exception cependant à la froide rationalité économique des choix trumpistes. La purge des données de santé publique du Centre for Disease Control and Prevention, organisme fédéral chargé de surveiller le développement des maladies contagieuses, de même que la sortie de l’OMS, relèvent de l’irresponsabilité la plus crasse – même vis-à-vis des intérêts de la classe capitaliste. Vengeance de Trump contre des institutions et individus qui s’étaient publiquement opposés à sa politique de laisser-faire criminel durant le Covid ? Volonté de galvaniser une base complotiste par un « coup » éphémère ? Résultat, le suivi de la grippe aviaire est suspendu depuis deux semaines en pleine épidémie.

Diviser les travailleurs et détourner leur colère pour mieux exploiter

Trump tente de déchaîner la haine raciste contre les travailleurs migrants sans papiers. L’envoi de l’armée en appui à la force de police anti-immigrés ICE, l’usage de Guantanamo comme centre de rétention, le fait de menotter les familles entières reconduites à la frontière et d’utiliser des avions militaires indiquent une stratégie de terreur. L’objectif immédiat est de montrer à sa base « Maga » qu’il agit vite et fort – et il est plus facile de faire un show aux dépens des travailleurs les plus exploités que d’améliorer réellement un tant soit peu les conditions de travail ou de vie.

C’est Obama qui détient le triste record du président qui a le plus expulsé, suivi de Biden. Lors de son premier mandat, Trump avait maintenu le flux des déportations dans la moyenne basse. Le patronat n’a aucune intention de se priver de plus de 8 millions de travailleurs et travailleuses sans papiers, qui représentent presque 4 % du monde ouvrier. Les mesures spectaculaires de Trump sont destinées à maintenir la fraction la plus exploitée des salariés dans une terreur et une insécurité qui les pousseraient, dans les sordides calculs patronaux, à accepter des conditions de travail dégradées.

Musk se vante d’avoir poussé à la démission près de 50 000 fonctionnaires des administrations de l’État fédéral. Chacun d’entre eux (en moyenne des travailleurs très qualifiés voire des cadres dirigeants, les postes d’exécution dans la voirie, les hôpitaux ou l’éducation relevant du privé ou bien des collectivités locales) a reçu un e-mail type avec une date limite pour accepter une rupture conventionnelle ou risquer le licenciement pur et simple à l’avenir. La communication cynique du milliardaire Musk a mis en avant la joie d’ouvriers licenciés du privé face au désarroi de cols blancs de l’État fédéral : les deux sont désormais au chômage, au nom des profits de Musk et ses semblables.

Trump et son équipe ont ouvert les vannes à un déchaînement de haine anti-LGBT par des décrets et déclarations symboliques : interdiction des athlètes transgenres dans les compétitions officielles, interdiction de l’usage du terme « non-binaire » pour renseigner le genre sur les formulaires officiels, etc. Consigne est donnée de cesser tout programme de « diversité ». En quelques jours, de nombreux grands groupes capitalistes ont annoncé fièrement abandonner toute forme de « discrimination positive ». Ce genre de politique hypocrite n’a jamais permis d’atténuer le racisme systémique ni même de corriger l’écart de salaire entre hommes et femmes : celui-ci a même augmenté pour la première fois depuis vingt ans à l’issue du mandat de Biden. Mais sa dénonciation brutale avec des arguments réactionnaires ne peut que décomplexer le racisme et le sexisme en encourageant d’un côté la ségrégation patronale et de l’autre les divisions entre travailleurs.

Défendre les intérêts de l’impérialisme américain dans le monde

À Gaza, la fiction d’un Trump qui obtiendrait la paix par des deals a fait long feu. La nouvelle administration pèse de tout son poids politique en soutien à Netanyahou et l’extrême droite suprémaciste et colonialiste israélienne. Les provocations concernant le déplacement forcé de deux millions de Gazaouis ouvrent la voie à la fin de la trêve et à la reprise de cette guerre sans fin et sans solution politique en vue, pendant que la colonisation de la Cisjordanie est encouragée par décrets depuis Washington.

Dans le Michigan, où est installée une communauté de Palestiniens-Américains, certains supporters de Trump répondent qu’ils « préfèrent de loin les mots de Trump aux actes de Biden ». Illusion funeste : la politique de Trump, qui vient de verser un milliard à l’armée israélienne, est dans la continuité de celle de Joe-le-génocidaire qui en avait versés huit quelques jours avant de quitter la Maison-Blanche. Le démocrate tentait, avec de plus en plus de difficultés, d’accompagner son soutien au génocide de prétendues considérations humanitaires et du bluff de la « solution à deux États ». Trump, lui, parle de nettoyage ethnique, de développement immobilier et menace par décret de poursuivre les magistrats de la CPI.

Le soutien des États-Unis à Zelensky pour affaiblir la Russie de Poutine est plus mesuré et assorti de bien plus de conditions que celui apporté à Netanyahou. Après avoir claironné qu’il réglerait le problème en 24 heures, Trump se fait plus prudent. Il a suspendu toute aide militaire à l’Ukraine le temps d’obtenir de Zelensky qu’il cède l’exploitation des terres rares aux grands groupes américains. C’est ainsi que fonctionne le monde impérialiste où la concurrence pour l’accès aux matières premières et l’exploitation des hommes et de la nature fait rage, y compris entre « alliés » et même pour tordre le bras d’une petite nation soumise à une invasion dont la survie dépend de la volonté de ses dirigeants de transformer la population en chair à canon d’une guerre de concurrence et de prédation entre grandes puissances ! Si cela ne suffisait pas, il faut en plus endetter l’Ukraine pour des dizaines d’années pour payer les obus, et donner les richesses du pays au parrain américain. Marchandages et coups de pression certainement habituels, mais en coulisse – la méthode Trump consiste à les afficher sur X pour montrer les muscles.

La guerre commerciale à coups de droits de douane n’est pas non plus un choix particulier de Trump. Les États-Unis, du haut de leur domination impérialiste, se permettent de protéger les profits de leur bourgeoisie à coups de taxes, de normes, de subventions et en même temps d’imposer la dérégulation chez leurs concurrents. Protectionnistes pour eux-mêmes et libre-échangistes pour tous les autres, au plus grand profit des multinationales américaines ! Le capitalisme, c’est la guerre commerciale et la concurrence – qu’elle soit feutrée dans les médiations et tribunaux de l’Organisation mondiale du commerce ou bilatérale et revendiquée comme la pratique Trump. L’étalage de force brute trumpiste est certainement le symptôme d’une incapacité des États-Unis à maintenir l’illusion d’un multilatéralisme et de règles communes qui leur profitaient avant tout, mais auxquelles les autres puissances se pliaient, car elles n’avaient pas le poids pour les contester. L’affaiblissement, même très relatif, des États-Unis dans l’économie capitaliste mondiale leur impose de recourir à des méthodes de coercition plus directes.

La suspension, au moins temporaire, de toute activité de l’Usaid est une véritable catastrophe humanitaire. Des milliers d’ONG ont dû cesser leurs activités dans tous les pays du monde, y compris la Palestine, la république démocratique du Congo, l’Afghanistan, l’Ukraine mais aussi dans des pays riches comme la France. Le but n’est même pas d’économiser ces sommes, négligeables comparées au budget de l’État fédéral, c’est juste une manœuvre de communication nationaliste et réactionnaire. La signification du slogan « L’Amérique d’abord ! », c’est donc les subventions pour les milliardaires comme Musk d’abord, quitte à couper l’aide aux affamés. Les ONG qui bénéficiaient de l’Usaid ont cependant une double nature : l’aide matérielle qu’elles apportaient servait aussi de point d’appui pour l’impérialisme américain. Couper l’Usaid, c’est renoncer à une forme de « soft power », instrument d’une domination bien réelle et pas vraiment « soft ».

Combattre Trump et lutter pour le renversement du capitalisme

Les éléments de continuité entre les administrations démocrates et républicaines-trumpistes l’emportent largement sur la prétendue rupture. Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas prendre au sérieux les menaces de Trump. Bien au contraire, c’est parce que la plupart de ses déclarations s’inscrivent dans une politique de long terme de l’impérialisme américain qu’elles ne sont pas des menaces en l’air. La brutalité avec laquelle Trump déclare la guerre aux travailleurs et aux peuples du monde entier n’est pas un coup de bluff, c’est une menace destinée à diviser, paralyser et terroriser tous ceux qui voudraient riposter. Cette agressivité traduit les failles de la domination américaine et les peurs de la bourgeoisie, à l’image du slogan « Make America Great Again ». Que les États-Unis se retrouvent contraints de dénoncer le droit international, commercial, bancaire ou pénal, qu’ils ont eux-mêmes instauré comme outil de leur domination sans partage indique un changement dans les rapports de force entre puissances impérialistes rivales. Mais les cauchemars que Trump prétend conjurer ne tiennent pas qu’à la concurrence avec la Chine. Toutes ces mesures sont prises explicitement au nom de la lutte contre le marxisme, contre l’extrême gauche et contre la révolution. Surprenant quand on sait la faiblesse des organisations qui s’en réclament ? Pas tant que ça : la bourgeoisie mène la guerre de classe d’une manière consciente et elle sait bien les réactions que ses offensives vont provoquer. Trump a remporté une élection, mais il sait d’expérience que ses plans peuvent être contrecarrés par les mobilisations – face auxquelles il avait dû reculer lors de son premier mandat à propos du « Muslim ban », des droits des femmes ou de Black Lives Matter.

Il est urgent de se défaire de l’effet de sidération recherché et de combattre la politique de cette extrême droite au pouvoir. Les travailleurs américains en ont toujours autant les moyens au lendemain des élections comme à la veille, dans ce pays qui connaissait les plus grandes grèves ouvrières de la décennie dans l’automobile ou l’aéronautique. Combattre Trump, pas au nom du retour à un capitalisme démocrate hypocrite « greenwashé » et « pinkwashé », mais tout autant destructeur et exploiteur. Combattre Tump, pas pour défendre le mensonge du droit international, le mensonge de l’égalité des chances, le mensonge du dialogue social, le mensonge du capitalisme vert, le mensonge de la promotion corporate de la diversité, mais le renversement du système capitaliste dont Trump a le mérite de montrer le vrai visage.

Nous reproduisons ici la conclusion de l’éditorial des bulletins d’entreprise de nos camarades de Speak Out Now :

« L’administration Biden a peut-être essayé de présenter une version plus acceptable de ce système, pour cacher sa défense flagrante des super-riches aux dépens de la majorité de la population active. Trump représente le même système, mais avec tous les faux-semblants arrachés, avec le racisme, le sexisme, les inégalités et la brutalité intensifiés et mis à nu pour que tout le monde puisse les voir.

Mais sans le masque, il sera plus difficile de cacher la vraie nature de leur système. Les politiques de Trump commenceront à aller trop loin et à révéler clairement qui le système protège et qui il nuit, traçant une ligne dans le sable, avec Trump et la classe des milliardaires d’un côté, et la grande majorité des travailleurs de l’autre.

Derrière les fanfaronnades, derrière les déclarations, Trump est une démonstration de la brutalité pure et simple de ce système, qui ne profite qu’aux riches et promet plus d’attaques et de misère pour la classe ouvrière de ce pays et du monde entier. Mais nous devons nous rappeler que, quoi qu’ils annoncent, quelle que soit la portée de leurs attaques, leur système ne peut pas fonctionner sans les travailleurs. Ce n’est pas le moment d’attendre de voir ce qui va se passer. C’est le moment de parler haut et fort, de se lever et de commencer à renforcer nos forces pour résister à Trump et à l’ensemble du système qu’il défend. »

Raphaël Preston