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États-Unis : une offensive politique contre la recherche scientifique

Vendredi 7 mars 2025, des rassemblements ont eu lieu aux États-Unis et en France à l’appel du collectif Stand-Up for Science qui se mobilise contre une attaque sans précédent contre certaines recherches aux États-Unis. Une solidarité internationale indispensable et qu’il faudra amplifier. L’occasion aussi pour certains dirigeants d’universités et d’organismes de recherche, qui orchestrent ici les coupes budgétaires dans l’enseignement supérieur et la recherche, de se poser en défenseurs de la recherche scientifique… espérant, au passage, attirer ici certains chercheurs entravés outre-Atlantique. Mais que se passe-t-il aux États-Unis ? Et quelles sont les perspectives de riposte ?

Sabotage de la recherche publique

Censure d’informations sur le climat, suppressions de postes, de comités d’experts, attaques contre les programmes de lutte contre les discriminations dans les universités : le premier mandat de Trump de 2016 à 2020 avait déjà été fort en menaces contre la recherche scientifique. Mais c’était sans commune mesure avec l’entreprise généralisée de censure et de sabotage de pans entiers de la recherche qui a cours depuis l’investiture de Trump II.

La nouvelle administration américaine de Trump multiplie les attaques contre les universitaires et les chercheurs. Cette offensive s’appuie sur les préjugés anti-vaccins, créationnistes et climato-sceptiques diffusés par les milieux religieux et ultra-conservateurs qui ont soutenu Trump pendant sa campagne. Mais le mobile du crime n’est pas qu’idéologique au royaume du King Business… Ruiner des années de recherches sur le dérèglement climatique n’est pas sans satisfaire aux intérêts sonnants et trébuchants des trusts du pétrole et gaz et leurs techniques extractivistes brutales par fracturation et forage. « Drill, baby drill ! » (« Fore, bébé, fore ! ») : Trump avait annoncé la couleur lors de son investiture !

Les coupes sombres dans les budgets de la recherche, orchestrées par Elon Musk – l’homme le plus riche du monde –, pourraient aussi être une occasion rêvée d’affaiblir les recherches démontrant les effets catastrophiques de la politique trumpienne sur la classe ouvrière américaine, et de réorienter ces budgets vers les caisses des géants privés de l’intelligence artificielle, des puces électroniques et du spatial… dont les patrons se sont tous alignés derrière Trump.

Réorienter l’argent vers des recherches jugées plus stratégiques (comme l’armement, par exemple), discipliner des secteurs qui pourraient être des foyers de contestation politique, empêcher l’expression d’arguments pouvant contredire les mensonges répétés ad nauseam par Trump et ses acolytes : les objectifs sont sans doute multiples et il est difficile, à ce stade, de trancher. Une chose est sûre, la tendance est très préoccupante et les effets à moyen et long termes seront probablement majeurs… sans pour autant – pour l’instant du moins – mettre à bas des institutions de recherche qui comptent parmi les principaux pôles internationaux attirant étudiants, chercheurs et financements.

Une liste interminable

Sous Trump I, une plateforme, le Silencing Science Tracker1, avait été créée par un institut de recherche sur le climat de l’université de Columbia pour recenser les mesures gouvernementales contre la recherche scientifique. Depuis mi-janvier 2025, les alertes se multiplient. Rien que pour les vingt premiers jours de février : report sine die d’un comité d’experts du Centre for Disease Control and Prevention (CDC) sur les vaccins, coupe de 900 millions de dollars dans le budget du service de recherche du ministère de l’Éducation, blocage de 4 milliards de dollars de fonds pour la recherche médicale, interdiction faite à des scientifiques de la Nasa de participer à une conférence sur les sciences du climat à l’ONU, interdiction pour les employés de la NOAA (agence de recherche sur les océans et l’atmosphère, leader mondial dans le domaine) d’avoir des contacts avec des étrangers. Sur le plan de l’emploi, ajoutons à cette interminable liste, impossible, malheureusement, à restituer dans son entier, le licenciement de près de la moitié des employés de l’administration fédérale de l’éducation le 11 mars, le limogeage de 170 employés de l’agence fédérale de protection de l’environnement chargés de justice environnementale, le licenciement d’au moins 15 salariés du CDC chargés de former des chercheurs en santé publique et de milliers d’employés des services de santé (dont 1 300 au CDC).

Des organismes de recherche entiers sont désorganisés, dans les domaines des sciences humaines et sociales, de la santé publique, du climat, de la promotion des vaccins ou de la lutte contre les épidémies. La National Science Foundation, principale agence de financement des projets de recherche, risque de voir son budget réduit de 70 %. L’agence fédérale américaine chargée de la recherche médicale et biomédicale est aussi menacée, mettant en péril des années de recherche sur les remèdes contre la transmission du VIH-Sida ou encore sur les vaccins contre Ebola récemment utilisés pour stopper une épidémie meurtrière en Afrique de l’Ouest. Des milliers, voire centaines de milliers de vies sont en jeu.

Mots interdits et caviardage de données scientifiques

Les agents du DOGE (Department Of Government Efficiency – ce ministère privé créé sur mesure pour Elon Musk, chargé de couper dans les dépenses de l’État), armés de simples clés USB, débarquent dans les agences de recherche, aspirent les données concernant les programmes en cours et suppriment ceux qui comportent certains mots suspects : femme (pas homme !), genre, diversité, inégalité, discrimination, climat, justice climatique, etc. Les budgets sont coupés du jour au lendemain et les lettres de licenciement envoyées dans la foulée. Jusqu’à parfois faire preuve d’un zèle excessif lorsqu’ils coupent un programme de recherche sur la génétique de la mouche drosophile… ou lorsque des chercheurs brutalement licenciés doivent être réintégrés à la hâte car leur travail permet… de superviser l’arsenal nucléaire américain.

Ces exemples pourraient faire rire à force de ridicule, s’ils n’étaient la partie émergée d’une vaste entreprise de destruction du savoir scientifique. Ces mêmes mots-clés sont aussi utilisés pour supprimer l’accès à des données et des comptes-rendus de recherche des sites et publications officielles. Au minimum, 8 000 pages internet ont disparu des sites des agences gouvernementales, dont 3 000 pour le seul Bureau du recensement et au moins autant pour le CDC, comme cette recherche sur les « disparités raciales et ethniques » en termes de problèmes cardiovasculaires ou sur la différence ville-campagne dans la prévalence du diabète. Alors que la grippe aviaire s’intensifie à l’échelle mondiale, l’administration Trump a aussi retiré du site du CDC les données indispensables pour assurer le suivi de l’épizootie. Les données ne sont sans doute pas détruites, mais leur occultation constitue non seulement une forme de censure, mais aussi de coup d’arrêt – peut-être temporaire – aux recherches qui les utilisent : sans la collaboration internationale, et donc l’accès aux données, la recherche scientifique serait nécessairement bridée.

Une offensive politique

Des milliers de chercheurs et d’administratifs de la recherche ont déjà perdu leur emploi, dans ce qui s’apparente à une chasse aux sorcières qui sème la peur dans les laboratoires de recherche et les universités. La méthode est brutale et les objectifs sont explicitement réactionnaires. Le prétexte a été formulé par le sénateur républicain Ted Cruz dès octobre 2024 : il prétendait que l’administration Biden avait favorisé le « wokisme » et les recherches promouvant une « propagande néomarxiste de lutte des classes ». Rien que cela ! Le vice-président J.D. Vance le disait aussi en novembre 2021 : pour mettre en œuvre son programme, il faut « attaquer de façon honnête et agressive les universités ». Et il ajoutait : « Le professeur est l’ennemi. »

La dimension idéologique de l’offensive est indéniable. C’est une guerre déclarée au raisonnement scientifique, à l’idée même que l’on partage un même monde et que l’on peut en comprendre le fonctionnement. Les discours délirants et les mensonges proférés nuit et jour par Trump et ses soutiens en constituent le versant le plus outrancier et médiatique. Mais l’idéologie ne suffit pas seule à expliquer ce qu’il se passe. En misant sur les préjugés anti-scientifiques d’une partie de son électorat, il s’agit de faire taire les recherches qui pourraient contredire une politique de destruction sociale et de ravage environnemental. Les intérêts de la poignée de milliardaires et de la bourgeoisie américaine autour de Trump s’expriment de façon brutale, dans ce domaine comme dans les autres.

Au passage, cette offensive pourrait permettre de décourager des contestations venant des universitaires et des étudiants qui s’étaient mobilisés massivement ces derniers mois contre Biden, Harris et le génocide à Gaza. Trump n’en fait d’ailleurs pas mystère, en menaçant le 4 mars dernier d’envoyer en prison ou d’expulser celles et ceux qui manifesteraient sur les campus.

Solidarité internationale

Face aux attaques, des recours ont été formés devant les tribunaux qui permettront peut-être de bloquer temporairement certaines mesures. Les milieux scientifiques se mobilisent aussi, à l’initiative de jeunes chercheurs dont les recherches et les perspectives professionnelles risquent d’être réduites à néant. Le 7 février, plusieurs milliers de chercheurs ont manifesté dans une trentaine de grandes villes, à l’appel du collectif Stand-up for Science2. Ces mobilisations ne sont toutefois, pour l’instant, pas à la hauteur des attaques : la sidération générée par les attaques individuelles auxquelles doivent faire face les chercheurs ne se traduit pas encore par une riposte collective de grande ampleur, qui serait pourtant la seule manière de renverser la vapeur.

Dans de nombreux domaines, les réseaux de recherche sont organisés internationalement. C’est un point d’appui important sur lequel s’appuie, en France notamment, le mouvement Stand-up for Science, qui témoigne d’une solidarité internationale pour les chercheurs menacés. Des rassemblements de quelques dizaines ou centaines d’universitaires ont aussi eu lieu le 7 février, en France, sur de nombreux campus33. Tant mieux ! Mais cette solidarité internationale, indispensable, n’occupe encore que le terrain légal et symbolique. Reste à cet embryon d’internationale scientifique à prendre de l’ampleur et rejoindre les autres contestations face au caractère massif et brutal d’attaques au service des grands trusts capitalistes.

Sacha Crepini

 

 

1  https://climate.law.columbia.edu/Silencing-Science-Tracker.

2  Voir le site américain du mouvement pour une cartographie des rassemblements : https://standupforscience2025.org/local-event-information/.

3  Une soixantaine de rassemblements ont été recensés sur le site de Stand-up for science France : https://standupforscience.fr/tous-les-evenements/.