Il y a tout juste un an sortait ChatGPT, un logiciel conversationnel issu d’une nouvelle génération d’intelligence artificielle (IA) et dont les potentialités impressionnantes pourraient marquer une révolution ultra rapide des méthodes de travail. En février, une étude américaine rapportait qu’une entreprise sur deux l’utilisait déjà… et qu’une sur quatre avait déjà supprimé des emplois avec lui1 ! La grève de 148 jours des scénaristes hollywoodiens a témoigné de cette place prise par les IA et l’automatisation des processus de travail dans des domaines jusque-là impensables. En 2020, une IA avait identifié en quelques heures les potentialités antibiotiques surpuissantes d’une molécule, l’halicine : de quoi économiser des années de recherche en biologie ! Dans l’informatique, la création de contenu ou encore la relation clientèle (avec les chabots), la productivité du travail pourrait être multipliée par trois ou quatre. Selon l’OCDE, ce sont 27 % des emplois qui sont menacés par l’automatisation et les IA dans les économies comme la France2. À Courbevoie (92), une entreprise de veille médiatique, Onclusive, a défrayé la chronique en annonçant le licenciement prochain de 217 de ses 383 employés, remplacés par une IA.
Une robotisation dans tous les secteurs
Les emplois de bureau ne sont pas les seuls menacés. Après avoir rêvé d’un capitalisme sans usine (qui a surtout consisté à externaliser la production dans les pays à bas salaires), les patrons rêvent désormais d’usines sans ouvriers. C’est l’industrie 4.0 et la production dans le noir (plus besoin de lumière puisque les machines tournent toutes seules). Un rêve qui semble se rapprocher avec les progrès de l’IA et de l’impression 3D. Dans le bâtiment, l’entreprise Texas Icon achève actuellement la construction d’un lotissement de 100 maisons par impression 3D. L’État chinois prévoit la construction d’un barrage de 180 mètres de haut dans l’est du pays en 2024 en utilisant uniquement des excavatrices, bulldozers et camions autonomes pilotés par une IA. Les camions sans chauffeur circulent déjà sur les routes américaines, et si les taxis robot connaissent actuellement quelques déboires à San Francisco, où ils sont autorisés depuis cet été, ce n’est sans doute qu’un contretemps.
Panique ou belles promesses ?
En mai dernier, 350 personnalités du secteur ont alerté sur le potentiel cataclysmique de l’intelligence artificielle, comme « les pandémies ou la guerre nucléaire », appelant à un moratoire de la recherche (sans se l’appliquer). Mais si un scénario à la Terminator semble improbable, l’« ère d’abondance » avec un « revenu universel élevé » promise par le patron fantasque de Tesla et SpaceX, Elon Musk, l’est tout autant dans une société capitaliste. Musk expliquait d’ailleurs lui-même, en 2018, que Tesla ne survivait que grâce aux « semaines de 100 heures » de ses salariés !
Car le problème est de laisser de telles avancées technologiques entre les mains des patrons. Dans la société capitaliste, les techniques qui pourraient libérer l’humanité du travail se transforment en nouveaux outils d’exploitation. D’un côté le travail s’intensifie et se déqualifie, avec des tâches de plus en plus répétitives (à commencer par celui des « travailleurs du clic » qui s’occupent de l’apprentissage des IA pour moins de trois euros de l’heure dans les pays pauvres3). De l’autre, un chômage de masse explose à l’échelle mondiale. La question n’est pas nouvelle : le terme de « chômage technologique » a été inventé par Keynes en 1930. Mais elle prend une dimension nouvelle avec les progrès de l’automation.
La nouvelle révolution technologique qui s’annonce rend d’autant plus urgente la revendication du partage du travail entre tous sans perte de salaire. Si l’automatisation remplace certaines tâches pénibles, tant mieux, mais pour qu’elle bénéficie à l’humanité, il faut rompre avec l’exploitation et la logique du profit.
Maurice Spirz
1 https://www.resumebuilder.com/1-in-4-companies-have-already-replaced-workers-with-chatgpt/
2 https://www.oecd-ilibrary.org/social-issues-migration-health/the-impact-of-ai-on-the-workplace-main-findings-from-the-oecd-ai-surveys-of-employers-and-workers_ea0a0fe1-en
3 https://theconversation.com/enquete-derriere-lia-les-travailleurs-precaires-des-pays-du-sud-201503