Conclave de Peter Straughan vient de décrocher l’oscar du meilleur scénario adapté. Mérité pour ce film haletant sur les coulisses de la nomination d’un pape. Autant de vices et de coups tordus certainement dans le conclave entre patronat et directions syndicales qui s’est ouvert le 27 février. Mais aucun suspense quant au dénouement : le ministre du Budget a clairement indiqué qu’il n’était pas question de revenir sur la réforme de 2023 qui a porté l’âge de départ à 64 ans.
Rien à attendre d’un « dialogue social » qui ne peut profiter qu’au patronat
Ce que Bayrou avait appelé un « conclave » (avant de se faire rattraper par l’affaire Bétharram et de mettre la pédale douce sur les métaphores cléricales) consiste en trois mois de discussions entre le patronat et les syndicats représentatifs au niveau national, plus l’Unsa. Lancée en janvier comme une forme de concession au PS pour qu’il ne censure pas son budget, l’initiative a permis au gouvernement Bayrou de gagner un sursis de quelques mois – au moins jusqu’à la date butoir de juillet à laquelle Macron pourrait, en cas de renversement du gouvernement, procéder à de nouvelles législatives.
Contrairement aux annonces du mois de janvier, il n’est plus question de remettre sur la table l’âge de départ. Le patron du Medef a enfoncé le clou : « Je parle de résignation. Je ne suis pas en train de dire que l’opinion publique est enthousiaste. La conflictualité sociale est faible, à ce jour. Alors pourquoi relancer des débats de nature à électriser le pays ? » Quel militant ouvrier ne connaît pas le danger de discussions « à froid » avec le patron ?
Patronat et gouvernement n’ont aucune intention de gâcher ces trois mois autour du tapis vert : le nouvel objectif fixé par Bayrou la semaine dernière est désormais de « rétablir l’équilibre financier de notre système de retraites à l’année 2030 » – sur la base d’un rapport catastrophiste et opportun de la Cour des comptes. Objectif partagé par le négociateur de la CFDT qui prétend de manière faussement naïve que « pour renforcer un système par répartition, il faut qu’il soit à l’équilibre ». Dans la boîte à idées patronale : désindexer les pensions, instaurer une « TVA sociale » ou une nouvelle caisse par capitalisation – la négociatrice du Medef travaille pour Axa !
Regrouper les militants qui savent que seul le rapport de force permettra aux travailleurs de ne pas payer la note
Que vient faire la CGT dans cette galère ? Sophie Binet a accepté ce conclave en janvier au nom de la défense de la « stabilité gouvernementale ». Mais quelle stabilité pour les travailleurs ? Tous les secteurs ont été percutés par la brutale réforme des retraites, l’inflation et aujourd’hui une vague de licenciements inédite. Et c’est ce moment que la direction de la CGT choisit pour offrir un sursis au gouvernement Bayrou-Macron, otage consentant du RN, et tenter d’intoxiquer les travailleurs sur les vertus du dialogue avec leurs exploiteurs !
Cet aplatissement spectaculaire est le pendant d’une passivité totale dans les derniers mois, y compris de la part de directions syndicales qui n’étaient pas invités au conclave comme Solidaires ou qui en ont claqué la porte comme FO. Aucune initiative pour regrouper les luttes qui pourtant existent, pour les salaires ou contre les licenciements. Même pas une journée d’action (dont on connaît pourtant les limites !) depuis l’appel au 5 décembre 2024 dans la fonction publique, qui avait été un succès. Les militants doivent se contenter de maigres points d’appui : un appel au 8 mars (encore heureux !) et à une manifestation des retraités le 20 mars. Les seules interventions sérieuses des dirigeants syndicaux consistent à favoriser le corporatisme, le « boîte par boîte », et à plaider pour le « nationalisme économique ». Tous derrière le patronat français ? Comme dans le fameux conclave ?
Il n’y a aucune raison que les travailleurs en restent là. Nos voisins belges ont montré en février leur force en descendant dans la rue par centaines de milliers1. La Grèce connaît une véritable explosion sociale contre l’incurie des capitalistes et des gouvernements corrompus qui les couvrent. En Allemagne, avant les élections législatives, les transports berlinois ont fait grève pour de meilleurs salaires, et le résultat des élections, favorable à l’extrême droite, n’a pas empêché les services publics de prendre le relais. La jeunesse étudiante, ici, se prépare à lutter pour des moyens d’une éducation de qualité y compris pour les enfants d’ouvriers.
Il n’y a pas de fatalité à négocier des reculs pendant que la bourgeoisie déchire le monde dans ses guerres commerciales. Mais urgence à regrouper nos luttes de travailleurs et à les organiser démocratiquement pour ne pas dépendre de la « stratégie » perdante des directions syndicales.
Raphaël Preston