
« Oh jamais, jamais, nous n’oublierons tout ce qui a été fait pour notre victoire. »1
Au début du XXe siècle, combats politiques et révoltes sont fréquents pour les travailleuses et travailleurs des ports bretons. En 1905 à Douarnenez, une grève permet d’obtenir le salaire à l’heure et non plus « à la pièce ». Localement, L’Internationale se voit ajouter cinq nouveaux couplets et devient une Internationale des femmes : Debout les Femmes de la Terre. Debout les femmes car demain… Puis, en 1909, 1400 soldats écrasent une grève de pêcheurs. Un militaire pour dix habitants. En 1914, des travailleuses du pays bigouden tentent d’obstruer les voies ferrées menant les hommes à la guerre et qui les ramèneront à l’état de cadavres ou de meurtriers. À l’été 1917, les ouvrières douarnenistes mènent une grève à l’échelle de la localité. Les salaires horaires des femmes passent alors de 25 à 35 centimes !
En 1921, dans le Finistère ou les Côtes-du-Nord, plus de 80 % des syndicats participent à la fondation d’une nouvelle CGT nommée unitaire. Elle groupe partisans de la révolution russe et héritiers de l’anarcho-syndicalisme dont les principes rejetaient la collaboration de classe et l’électoralisme. Les joues de pêcheurs bretons sont alors barrées de favoris, emblème des mutineries de la mer Noire. Diverses grèves éclatent dans les conserveries. Aux revendications salariales se mêlent diverses contestations de l’autorité patronale.
Fin 1924, une grève se généralise à nouveau à Douarnenez. 2000 à 3000 salariés se mobilisent, dont 75 % de femmes. Malgré bien des difficultés, ouvrières et militants unitaires tentent d’étendre le conflit aux pêcheurs et dans les ports avoisinants. Les ouvrières gagnent alors 80 à 90 centimes de l’heure : moins d’un tiers du salaire « normal » de l’époque. La main-d’œuvre représente 5 % du coût de production d’une boîte de sardine.
La revendication salariale se résume à 45 centimes d’augmentation horaire. Un comité central de grève compte quinze membres, dont deux dirigeants de la CGTU venus de la fédération de l’Alimentation et de la Commission féminine. Cinq ouvrières d’usine en font partie. Des réunions plénières de grévistes suivent des manifestations très fréquentes. Les slogans ciblent le chef du syndicat patronal et trois autres patrons dénoncés comme « maquereaux » c’est-à-dire harceleurs et violeurs. Le vote en réunion est constant. Deux militants communistes présents sur place indiquent : « Le comité de grève fut un véritable soviet, dirigeant toute la ville pour le bien du mouvement ouvrier. »2
Après quelques semaines, les pêcheurs ne sortent plus en mer. L’extension aux autres ports du littoral devient crédible et des mouvements sporadiques sont difficilement contenus. Après de longues discussions qui occupent le premier mois du conflit, le comité de grève « autorise [les pêcheurs] à sortir en mer pour l’approvisionnement de la population en poisson frais et la vente aux mareyeurs qui n’ont pas d’usines de conserve. Ils devront à leur débarquement faire une part de pêche qui sera répartie par les soins du Comité de grève aux grévistes et aux cantines. » Le comité de grève s’engage à acheter, à la place des usiniers, le poisson pêché. Plus besoin de patrons.
Stupides et violents, ces derniers font embaucher des briseurs de grève qui jouent du revolver contre des ouvriers et militants communistes. Cinq sont blessés, dont le maire communiste. Devant la colère, le chef du syndicat patronal fuit au Maroc tandis que ses anciens amis cèdent et acceptent de signer un contrat collectif reconnaissant de faibles augmentations de salaire, des principes élémentaires du droit du travail et comptant pour première clause « Aucun renvoi pour faits de grève et action syndicale ». Les patrons ne décident plus seuls de l’embauche. La victoire est importante et vécue comme telle. Célébrée aujourd’hui, elle n’est qu’une des multiples batailles menée par le prolétariat du littoral breton durant des décennies. Leur fréquence, leur âpreté et leurs multiples péripéties empêchent de toutes les évoquer ici. Signalons néanmoins une certaine particularité des grèves de Douarnenez.
Le 22 novembre 1924, le PC rédige une circulaire interne destinée aux militantes et militants qui ignoreraient que les exigences d’égalité s’étendent aux couples : « On dira : l’homme doit aider la femme dans le ménage, doit faire les gros travaux, doit laisser des heures libres à sa compagne pour lui permettre d’assister aux réunions, de lire les journaux et de participer aux travaux de cellule avec sympathie. » Le même jour, des tracts de la SFIC s’adressent aux ouvrières : « Tu ne connais que les tristesses de la maternité et non ses joies. En attendant qu’une société bien organisée mette l’enfant à la charge de l’État, tu dois exiger quatre mois de congés, deux avant, deux après tes couches à salaire entier. Pour ne pas être privée de ton petit, pour pouvoir surveiller sa croissance et profiter de ses sourires, tu dois exiger qu’une crèche soit installée à ton usine. » Dans le même temps, le papier dénonce les « repopulateurs », il appelle les ouvrières à « s’occuper des grandes affaires du pays » et à conquérir leurs « droits politiques ». À la fin de la grève, malgré la pression du clergé et de l’État, d’anciennes sardinières en grève fondent une organisation de jeunesse communiste. Contre le mariage et la maternité subie, des militantes y promeuvent alors la contraception, l’avortement et l’union libre. Un combat à poursuivre.
5 janvier 2025, C.M.
Douarnenez : Grève des Penn Sardin 1925-2025
Le comité Trégor Argoat des « amies et amis de la Commune de Paris 1871 » propose une conférence vendredi 10 janvier à 18 h 30 sur cette grande lutte ouvrière. Le comité Nathalie Le Mél du NPA-R, seul parti membre ès qualité de l’association, soutient le travail de mémoire sur les luttes passées. Luttes qui entrent en résonance avec le secteur de l’agro-alimentaire qui constitue la base des industries de Bretagne.
L’industrie agro-alimentaire, comme au temps des sardinières, est une grande pourvoyeuse de bas salaires, de conditions de travail dangereuses et pénibles. Et dirigée par un patronat privé ou « coopératif » manifestant une volonté identique d’exploitation éhontée des travailleuses et travailleurs, des ressources de la terre ou de la mer, des pêcheurs et des paysans et, in fine, des consommateurs avec des produits transformés dans la plus grande opacité…
Longtemps considéré comme retardée et rétrograde, parlant un « idiome bas-breton », conservatrice entre les mains des curés, la classe ouvrière de Bretagne entrait dans l’histoire sociale sept années après la révolution d’Octobre…
Bienvenue au bar associatif de Guingamp « L’Annexe » pour cette conférence et crier « PEMP REAL A ‘VO » : « Cinq réaux (1,25 francs) nous aurons ».
4 janvier 2025, comité Nathalie Lemel du NPA-R
1 Ouvrières anonymes citées par Lucie Colliard (Une belle Grève de femmes : Douarnenez, Librairie de l’Humanité, 1925).
2 Maurice Simonin et Daniel Renoult, La grève de Douarnenez, ses enseignements, son histoire, Librairie de L’Humanité, 1925.