Mayotte, Département colonie
Rémi Carayol
La Fabrique, 2024, 15 €
L’ouvrage de Rémi Carayol sur Mayotte (où il a vécu en tant que journaliste) balaye les multiples facettes – économique, sociale, culturelle, politique – de l’histoire de cette île de l’archipel des Comores, située à 8 000 kilomètres de l’Hexagone et devenue 101e département français en 2011. Il s’agit d’un pamphlet contre l’impérialisme français et des dirigeants politiques, tout particulièrement de droite et d’extrême droite (dans le silence voire la complicité de ceux de gauche), qui se sont acharnés pendant des décennies, en assujettissant des notables locaux, à arracher cette île au reste de l’archipel des Comores à laquelle elle appartient. D’en faire une entité administrative puis département français tandis que les Comores choisissaient l’indépendance en 1975. Donc à disloquer et déchirer le peuple comorien possédant pourtant une évidente histoire commune, par-delà ses diversités. Et pire, à faire des habitants des trois autres îles (Grande Comore avec sa capitale Moroni, Anjouan et Mohéli) des étrangers sur l’île de Mayotte. Des étrangers qui sont devenus les cibles d’un racisme exacerbé, des ennemis à chasser voire à abattre. Et pourtant, des Comoriens et Comoriennes arrivent en nombre croissant à Mayotte. Avec ou sans papiers, ils y représentent plus de 50 % de la population. Mais ils y sont des « étrangers », que la France a fabriqués par sa politique et ses lois séparatistes.
Le comble du « diviser pour mieux régner »
Le paradoxe est extrême : des Noirs majoritairement musulmans qui peuplent l’île se sont mis à adhérer aux thèses d’une droite et extrême droite françaises racistes et islamophobes. Jusqu’à adopter la même logorrhée raciste que les colonisateurs. Jusqu’à soutenir la violence des colonisateurs – des Darmanin qui rasent les bidonvilles (avec son expédition Wuambushu, en septembre 2023), expulsent à tour de bras (environ 25 000 personnes par an ces dernières années). Jusqu’à soutenir des « reconduites à la frontière »… frontière que l’impérialisme français a lui-même érigée entre deux îles. Et jusqu’à aller voter pour la droite conservatrice et l’extrême droite françaises. Aux présidentielles de 2022, Marine Le Pen est arrivée largement en tête. Aux législatives de 2024, une candidate du RN, Anchya Bamana, a été élue dans la deuxième circonscription du département. C’est en sa compagnie que Marine Le Pen a arpenté récemment les quartiers dévastés par le cyclone, mais aussi par cette politique.
Oui, une colonie
L’auteur souligne qu’on parle beaucoup, à propos de Mayotte, d’« immigration », d’« insécurité », de « misère », mais pas de « colonie » ! La longue et singulière histoire de cette île est pourtant celle d’un colonialisme français qui n’est pas mort. Encore en 2010, Nicolas Sarkozy débarquait à Mayotte en déclarant : « Vous êtes français, mes compatriotes de Mayotte, depuis 1841, depuis bien plus longtemps que nos compatriotes de Nice et de la Savoie. » L’ouvrage s’attache à rappeler le rôle de l’extrême droite française, dont les royalistes de l’Action française dans les années 1960 et suivantes ; le rôle de la droite conservatrice gaulliste (avec Messmer et Debré) mais seulement : le rôle aussi de l’armée et des services secrets français. Car une longue suite de coups tordus a permis à la France de préserver sa présence dans cette partie de l’océan Indien, y garder une base militaire, contrôler le canal du Mozambique et les pays africains environnants, protéger les profits de TotalEnergie dans la zone.
Coups de force contre les Comores aussi
L’auteur rappelle que l’impérialisme français s’est également ingéré dans les affaires des Comores indépendantes, pas seulement des relations officielles, mais officieuses et musclées ! Entre autres par des interventions du mercenaire d’extrême droite Bob Denard. L’individu débarque aux Comores en 1975, à l’indépendance et pour la neutraliser, avec des soldats et des armes, pour démettre un président. Trois ans plus tard, en 1978, il trempe dans l’assassinat du président suivant. Il reste dans le pays pendant onze ans, bras droit du régime d’un Abdallah qui torture ses opposants… mais meurt assassiné en présence de Bob Denard. « Un regrettable accident. » Bob Denard est jugé à Paris… et acquitté en 1999. Entretemps, il retourne aux Comores en 1995, à nouveau pour destituer un président. Toujours avec des complicités françaises. Du rocambolesque, mais sinistre. L’appui multiforme de la France à des dictateurs des Comores a contribué à pourrir la vie des habitants et à faire préférer à certains d’entre eux la fuite à Mayotte.
On ne peut pas rapporter ici la richesse de ces 200 pages. On ne peut qu’inciter à les lire !
Michelle Verdier