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Nouvelle convention collective de la métallurgie : une usine à gaz pour individualiser au maximum les salaires

La nouvelle convention collective de la métallurgie, signée en février dernier entre l’organisation patronale, l’UIMM (Union des industries et métiers de la métallurgie), et les trois centrales syndicales CFDT, CFE-CGC et FO, doit entrer en application au 1er janvier 2024. Même si aucune des conventions collectives n’a jamais été favorable pour les travailleurs, avec leurs aspects catégoriels, leurs grilles hiérarchisées faites plus pour diviser que pour unifier les salariés, la nouvelle convention marque un net recul par rapport à la précédente.

On ne va pas parler là de tous les aspects de cette convention de la métallurgie, résultat de sept ans de négociations qui se sont faites sur le terrain du patronat, mais de son aspect le plus directement lié au problème des salaires, un problème plus que jamais d’actualité avec l’inflation de ces dernières années. Tout tourne autour de la question des « classifications », cette hiérarchie salariale où les patrons nous mettent dans des cases pour nous diviser ou faire miroiter, avec l’âge ou la promesse d’un changement de poste, de maigres et hypothétiques rallonges.
Quelles sont les différences entre le système en vigueur jusqu’au 31 décembre 2023, et la nouvelle philosophie de classification ? Que voulons-nous en tant que révolutionnaire ? Et bien sûr, surtout, comment imaginer et articuler les bagarres qui vont peut-être naître, qu’on peut peut-être lancer ?

De l’ancienne à la nouvelle convention

Les grilles actuelles étaient des grilles correspondant à des activités clairement découpées et tenaient compte finalement de l’ancienneté ; même si cet aspect était en fait plus prononcé du côté des cadres que du côté des techniciens ou des ouvriers. Du côté des cadres, il y avait une évolution automatique : tous les trois ans, l’indice hiérarchique augmentait et donc, petit à petit, une forme d’avancement reconnaissait l’expérience et les qualifications.

L’ensemble ne faisait pas rêver. Nous n’avons jamais été des adeptes de ce système. Mais, au moins, le patron reconnaissait payer les compétences dont il avait besoin, payait un peu la polyvalence et l’expérience. La nouvelle convention de la métallurgie introduit une classification qui n’est plus fonction de tous ces critères mais uniquement du poste occupé. Plus exactement, en fonction de ce qu’ils appellent un emploi, catégorie qui regroupe plein de postes qui existent déjà.

Avant, il y avait des critères objectifs reconnus dans toute la métallurgie. Maintenant, c’est une méthodologie, un cadre général, qui est mis en place pour coter les emplois et chaque employeur va l’appliquer unilatéralement pour coter ses emplois. Cela peut paraitre très technique, cadré, mais dans la réalité c’est la plus grande liberté pour le patron d’avoir la main sur l’évolution salariale sans le moindre garde-fou. Indépendamment de toute qualification ou ancienneté, les RH décident du classement du poste actuellement occupé. Et l’arbitraire est encore plus présent lorsque le salarié change de poste : pour accéder à un poste mieux classé que le précédent, ce sera au bon vouloir de la hiérarchie.

La première étape de la mise en place de la nouvelle classification, c’est la description des emplois et le regroupement des postes en classes. Par exemple, chez Renault, dans des secteurs où il y avait 100 postes, il n’y a plus que 30 fiches d’emploi : c’est la porte ouverte à la polyvalence gratuite pour le patron. Si nous avons la même fiche d’emploi que notre collègue, pourquoi ne pas nous imposer de faire son boulot à l’occasion ! Ensuite, à partir des fiches descriptives d’emploi qu’elle a établies, la direction de l’entreprise va les coter : il est prévu six critères (autonomie, communication…), une note de un à dix par critère, donc une note totale sur soixante. La somme permettra de classer les emplois les uns par rapport aux autres, et les salaires associés dépendront de ce classement. Il en a fallu des mois et des mois aux négociateurs pour s’entendre sur cet échafaudage de classements et de notes où chaque patron fait ensuite de toute façon ce qu’il veut !

Des salaires encore plus à la tête du client

La méthode de classement faite, patronat et syndicats signataires ont décidé d’une nouvelle définition des salaires : il y aura des minima sur chacune des cotations. Dans les anciennes grilles, il y avait un minimum et un maximum, jamais mirobolant bien sûr, mais qui permettait de passer au coefficient supérieur en cours de carrière. Maintenant, il n’y a qu’un minimum : si votre salaire est un peu en dessous du minimum du nouveau poste où on vous affecte, vous allez être augmenté. C’est une nouvelle façon de diviser les travailleurs : il faudrait se battre les uns contre les autres pour accéder aux postes qui pourraient nous permettre d’avoir des augmentations de salaire. Le caddie « moyen » et le loyer augmentent pour tous de la même façon, les augmentations de salaire doivent être générales.

Ce nouveau système cherche donc à casser encore plus les solidarités en individualisant les salaires, en fonction des postes de chacun plutôt que des catégories de travailleurs. C’était déjà une manière de diviser, mais permettait parfois de s’appuyer sur un certain sens du collectif au sein d’une même catégorie. Au centre technique de Renault-Lardy, par exemple, des salariés d’une même catégorie (techniciens bloqués au coefficient 285 depuis plusieurs années) avaient mené une bataille collective pour passer au coefficient supérieur et voir ainsi leur salaire augmenter. C’était une lutte sectorielle, certes, mais qui avait pu être menée collectivement et avait été victorieuse. La nouvelle logique, c’est l’individualisation totale, chacun en fonction du poste qu’il occupe. Le salaire était catégoriel, ce n’était déjà pas terrible. Il va être désormais individuel.

Ne pas rester derrière les grilles

Face à ça, nous n’allons pas, bien évidemment, demander un retour aux anciennes grilles. Les anciennes grilles qui divisaient, plutôt que les nouvelles qui morcellent encore plus, ce n’est pas ce qu’on veut. Ce qu’on veut, c’est « à chacun selon ses besoins ». On travaille selon ses compétences, ses possibilités, et avec un temps de travail qui laisse le temps de vivre. Un temps qu’il faut réduire grâce aux progrès techniques actuels et non pas licencier quand la productivité augmente, ou quand on passe de la voiture thermique à la voiture électrique qui demande moins de temps de travail pour la production. Et on exige également pour tous les moyens de vivre dignement : des différences de salaire, il pourrait y en avoir, mais ce serait en fonction des besoins, du nombre d’enfants à nourrir par exemple.

« De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins », ce vieux slogan du mouvement ouvrier, on n’en est encore loin aujourd’hui. Mais c’est dans ce sens que nous devons orienter nos revendications. À commencer par demander un salaire minimum pour tous d’au moins 2 000 euros net. Et que tous les minima sociaux, toutes les retraites soient au moins à ce niveau. Demander, face à la hausse des prix, non pas une « meilleure grille » ou des augmentations en pourcentage qui augmentent plus les hauts salaires que les bas, mais des augmentations uniformes d’au moins par 400 euros net par mois pour tous. Des revendications sur lesquelles tous les travailleurs pourraient se battre ensemble, dans la métallurgie mais aussi ailleurs.

De multiples raisons de colère

Les réactions au nouveau système sont multiples. Dans les usines, la polyvalence fait beaucoup discuter. Il y a aussi la question du déclassement : pas mal de salariés se sentent dépréciés parce qu’ils ont été cotés sur des postes assez faibles, avec des salaires minimums assez faibles. Des salariés qui avaient obtenu des qualifications pour devenir caristes sont remis au niveau d’ouvriers de chaîne et se sentent déclassés.

À l’usine de PSA Poissy, ça avait entrainé deux débrayages d’une vingtaine de salariés qui voulaient garder l’intitulé « caristes » sur leurs nouvelles fiches-emploi, pour ne pas voir leur salaire se faire déclasser lui aussi. C’est vrai aussi du côté de l’usine Renault de Cléon, où le secteur E-Motor a débrayé au moment de la présentation des nouvelles fiches de postes début novembre et où un nouveau débrayage de 90 salariés d’un autre bâtiment a eu lieu fin novembre pour les mêmes raisons. Les salariés ont considéré que les nouvelles descriptions ne correspondent pas à la réalité des boulots, que les difficultés sont sous-estimées, et donc que les nouveaux coefficients ne correspondent pas à ce qu’ils espéraient.

Il y a également des injustices manifestes. À Renault-Lardy par exemple, où il y a 55 % d’ingénieurs et 45 % de techniciens, beaucoup de techniciens et d’ingénieurs occupent actuellement les mêmes postes, font le même travail. Les techniciens attendaient d’une certaine façon que ce soit reconnu par cette nouvelle classification puisqu’elle est faite en fonction du poste occupé. Eh bien non : la direction a réussi à les mettre dans des fiches différentes de leurs collègues ingénieurs, alors qu’ils occupent le même poste. Cela va à l’encontre de la logique de leur nouveau système. Mais il fallait bien trouver un moyen pour que les techniciens restent en dessous du statut cadre. L’exception confirme la règle : tirer les salaires vers le bas. Pour nous, c’est clair, c’est : « à travail égal, salaire égal ».

Des réactions, il en existe donc déjà sur la polyvalence, sur la crainte de déclassement et de perte de salaire, sur l’absence de reconnaissance du travail effectué. Autant de raisons qui révèlent l’ampleur de l’attaque et la nécessité du coup de colère pour s’y opposer !

Derrière tout ça, il n’y a rien d’autre que le problème des salaires. Ils sont au cœur de cette nouvelle attaque, et des coups de colère pourraient bien s’exprimer lors des prochaines NAO. Mais c’est bien au-delà de Renault ou de Stellantis, au-delà de la métallurgie, que les salaires vont être au cœur d’une nouvelle explosion de colère. À nous de les préparer, sans grille, sans catégories, et sans se contenter d’un « branche par branche » ou « secteur par secteur ».

Correspondant Renault