Le mercredi 6 décembre dernier, de la CGT à la CFDT en passant par SUD, tous les syndicats cheminots de la région lyonnaise signaient un accord avec la direction qui évitait ainsi une grève pendant le week-end de la fête des Lumières lors duquel deux millions de touristes visitent Lyon chaque année. Pour « sauver » la fête, la SNCF n’a pas eu à lâcher grand-chose : une prime d’un maximum de 500 euros étalée sur quatre mois pour les aiguilleurs et une autre de 50 euros par journée travaillée durant le week-end pour les autres agents, voilà qui a suffi pour que les syndicats fassent avorter une grève qui s’annonçait pourtant bien suivie.
Grève de la fête des Lumières : cette fois c’est la bonne ?
Chaque année c’est la même rengaine : à l’approche de la fête des Lumières, on entend certains collègues et organisations syndicales affirmer que ce serait LE bon moment pour faire grève. Les enjeux économiques seraient tels que l’entreprise seraient prête à lâcher beaucoup pour assurer la circulation des trains. Mais cette idée de la grève au bon moment pose quelques problèmes. D’abord parce qu’elle sert souvent de prétexte pour refuser de se mettre en grève à d’autres périodes de l’année perçues comme moins opportunes. Ensuite parce qu’avec un tel raisonnement, si la boite ne cède pas au moment où elle serait le plus vulnérable, il n’y aurait plus qu’à reprendre le travail. Or, une grève n’a pas seulement pour but de « couler » la production même si son impact dans ce domaine est un élément capital à prendre en compte. Son but est aussi de dégager du temps pour se réunir, discuter, élaborer des revendications, s’adresser à d’autres travailleurs, etc. Cet aspect plus politique est d’ailleurs particulièrement craint des patrons car, quand les travailleurs s’emparent de leur mouvement, il devient beaucoup plus difficile de leur faire brader leur grève contre des queues de cerises.
Au contraire, quand les syndicats agitent la menace de grève à des « dates clés », ils gardent le contrôle de bout en bout. Et, le plus souvent, il ne s’agit que de réaffirmer leur place d’intermédiaire entre les salariés et la direction : ils s’affichent auprès des travailleurs comme ceux qui peuvent obtenir des avancées et auprès de l’entreprise comme ceux qui peuvent démarrer et surtout arrêter un mouvement. À ce titre, le coup de pression mis par les organisations syndicales cheminotes lyonnaises à l’approche de la fête des Lumières n’avait rien surprenant.
Chez les cheminots, la volonté d’y aller !
Ce qui a été plus inhabituel, c’est la vigueur avec laquelle les cheminots lyonnais ont répondu à l’appel des syndicats. Lorsqu’à l’aiguillage, ces derniers ont déposé un préavis de grève pour réclamer des augmentations de salaire et des embauches, les aiguilleurs ont massivement déposé les déclarations individuelles d’intention (D2I) de faire grève auxquels ils sont soumis. Dans de nombreux postes d’aiguillage, la grève s’annonçait suivie à 100 % ! Il faut dire que les bas salaires et le sous-effectif alimentent les discussions et la colère depuis longtemps dans les EIC, les établissements dont dépendent les aiguilleurs. Par ailleurs, les aiguilleurs lyonnais n’entendaient pas rester l’arme au pied alors que, ces derniers mois, de nombreux conflits locaux ont touché différents EIC sur le territoire national.
Devant l’ampleur que prenait la mobilisation des aiguilleurs, des appels à la grève ont fleuri dans d’autres secteurs. Les travailleurs de la gare de Lyon-Perrache ont été appelés à la grève, ainsi que l’ensemble des ASCT (contrôleurs) de la région de Lyon. Si les revendications étaient souvent spécifiques aux métiers, la question du salaire était mise en avant de partout !
Chez les directions syndicales, la volonté de signer
Mais alors que la tension et la combativité montaient à mesure que chacun prenait conscience que le mouvement promettait d’être massif, les organisations syndicales ont choisi de siffler la fin de partie ! D’abord à l’EIC où, de la CFDT à SUD en passant par la CGT, on se jette sur son stylo pour signer la première proposition de la direction : 500 euros de prime maximum en fonction des aiguilleurs, étalés sur plus de quatre mois et la promesse de 50 embauches sans aucune garantie. Les conditions de travail sont tellement dégradées et les salaires tellement bas que la direction revoit régulièrement ses prévisions d’embauche à la baisse face au manque de candidats.
Dans la foulée, les syndicats des autres gares ont fait de même et levé le préavis de grève contre une prime de 50 euros par journée travaillée pendant le week-end de la fête des Lumières.
Bien sûr, les agents qui avaient posé leur déclaration individuelle d’intention de grève n’ont pas eu leur mot à dire dans ces négociations. Certains sont satisfaits d’avoir arraché quelques euros à la direction sans avoir perdu une seule journée de salaire. Mais pour obtenir de vraies augmentations de salaire et non des primes qui permettent juste de garder la tête hors de l’eau quelques semaines ou mois de plus, il faudra plus que des coups de bluff ! Il faudra de véritables grèves dirigées par les grévistes eux-mêmes afin que leur combativité ne soit pas bradée par des directions syndicales avides de se faire une place à la table des négociations.
Correspondants