Vendredi 20 décembre, près de 20 000 manifestants se sont rassemblés à l’appel du mouvement Bluebird devant le Yuan législatif, le Parlement de Taïwan, afin de manifester contre les réformes entreprises par le KMT (Kuomintang, le parti qui était au pouvoir sans partage de 1949 à 2000) et son allié le PPT (Parti du peuple taiwanais), deux partis, qui, aujourd’hui, défendent un rapprochement avec Pékin, majoritaires à eux deux au Yuan législatif). Une empoignade avait eu lieu lors du débat parlementaire où les députés du KMT empêchaient ceux du PDP (Parti démocratique du peuple, actuellement sur une ligne cherchant plutôt l’appui des États-Unis), au pouvoir depuis 2016, de participer au débat en les sortant du parlement.
Grâce à nouvelle majorité obtenue par la baisse de popularité du PDP dans un système encore presque bipartite, le KMT est, avec son allié, désormais en mesure d’avancer sur leur politique. Au Parlement, ils tentent d’imposer des réformes qui ont pour but de rendre plus difficile la destitution d’un élu. Il faudrait désormais plus de votes pour la destitution que de voix lors de l’élection de l’élu visé, précédé d’une pétition signée avec présentation de sa carte d’identité. C’est que l’actuel président du Yuan législatif, Han Kuo-yu, membre du KMT, s’était lui-même fait destituer de son poste de maire de Kaohsiung après sa campagne pour les présidentielles de 2020.
N’étant plus à la tête du pays, le KMT cherche à sauver ses postes, mais aussi à les renforcer. Et c’est dans le même sens qu’il prévoit une deuxième loi qui viendrait rendre toute révision, ou décision d’inconstitutionnalité d’une loi, par le Conseil constitutionnel plus difficile. Enfin, une dernière loi doit déplacer une partie du budget des mains de l’État à celles des mairies, là où le KMT est le plus présent.
On comprend bien pourquoi les manifestants sont sortis dans la rue, inquiets de ces mesures, comme ils étaient sortis massivement en 2014 lors du mouvement des Tournesols contre la politique du KMT de rapprochement avec le pouvoir de Pékin. Si elles renforcent de fait le pouvoir du KMT, son appareil et ses notables, elles renforcent surtout le pouvoir de l’État bourgeois.
Le mouvement surnommé Bluebird, à l’initiative de ces réactions et composé d’ONG « pro-démocratie » ne propose que des solutions institutionnelles aux problèmes institutionnels. Il se place de fait à la remorque du PDP actuellement au pouvoir et de son gouvernement plus favorable à l’influence américaine. Ces groupes ne remettent pas tant en question les textes avancés par le KMT… mais avant tout le caractère non-démocratique des débats ! Il était possible d’entendre en manifestation le slogan « Sans débat, il n’y pas de démocratie ».
Mais, pour l’instant en tout cas, on ne voit qu’une opposition binaire entre « démocratie » et autoritarisme, sur fond d’opposition impérialiste entre la Chine et les États-Unis et rivalité dans le pays entre fractions de la bourgeoisie d’affaires.
Pierre Frey