C’est à du grand spectacle, bien à l’image de leur rapacité et de leur cynisme, que se sont livrés les dirigeants parmi les plus puissants de la planète ces derniers jours. Trump, comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, fait voler en éclat la façade hypocrite habituelle des relations de concurrence entre impérialismes rivaux. La réalité crue du capitalisme apparaît aux yeux du monde, non seulement des peuples directement victimes des guerres mais y compris aux yeux des travailleurs des pays riches sommés de rallier l’union nationale derrière leurs propres exploiteurs. L’issue de cet emballement de la guerre commerciale pourrait être à terme l’aggravation et l’extension des conflits entre grandes puissances – même si nul ne peut prévoir leur échéance et malgré la tentative de normalisation en cours entre Russie et États-Unis. Le capitalisme, c’est la loi du plus fort ? Mais les plus forts sont ceux et celles qui produisent tout sur cette planète, les travailleurs qui, eux, n’ont aucun intérêt au pillage, à l’asservissement ni au génocide d’aucun peuple.
Trump n’est pas un faiseur de paix mais le visage du pillage et de l’exploitation
Le Washington Post a vu à juste titre en lui un « Don Corleone », véritable parrain qui, avec son bras droit, le vice-président J.D. Vance, dans ce bureau ovale de la Maison-Blanche, a « flingué » Zelensky. Le spectacle avait commencé avec le coup de fil de Trump à Poutine, le 12 février, par lequel les deux oligarques de la planète ont annoncé qu’ils allaient dealer une « paix » en Ukraine, sur le dos du peuple ukrainien et au mépris même des dirigeants de l’UE prétendant eux aussi au partage du butin. Le vassal Zelensky était donc convoqué pour signer la reddition des richesses des sous-sols de son pays. Mais le voilà chassé, car il a eu l’outrecuidance de demander quelques garanties de sécurité !
Cette rupture d’alliance mise en scène marque l’aboutissement d’une politique américaine d’arrêt d’aide à l’Ukraine déjà enclenchée par Biden. Les États-Unis estiment probablement l’essentiel de leurs intérêts satisfaits : la Russie est suffisamment affaiblie (sans que le pouvoir de Poutine soit remis en cause, car il est le représentant de l’ordre impérialiste dans une partie du monde), les multinationales américaines ont récupéré d’importants marchés du gaz et de l’armement en Europe au détriment des Russes. Et les dirigeants américains considèrent avoir d’autres priorités de maintien de l’ordre dans le monde, notamment dans leur concurrence avec la Chine à laquelle ils viennent d’imposer 10 % supplémentaires de droits de douane.
Trump, apôtre de la paix ? À d’autres ! Il continue entre autres à apporter tout son soutien à Netanyahou dans sa guerre génocidaire contre Gaza !
Poutine aussi, derrière Trump !
Les représentants de Poutine ont saisi l’opportunité du clash de Washington pour sortir d’un certain mutisme. Maria Zakharova, porte-parole de la diplomatie russe a salué la « retenue » de Trump et Vance face à « l’ordure » Zelensky, « incapable de faire preuve de sens des responsabilités […] obsédé par la poursuite de la guerre ». Se fait jour, de plus en plus nettement, la complicité entre Trump et Poutine pour délégitimer Zelensky – tiens donc, au moment où l’ancien président Porochenko (un oligarque surnommé « le roi du chocolat ») auquel Zelensky avait succédé en 2019, se remet sur les rangs en candidat à la présidence.
Un accord entre Trump et Poutine avec le sang du peuple ukrainien
Pendant les coups de théâtre diplomatiques, la guerre continue en Ukraine. Déjà des centaines de milliers de morts et de blessés dans un combat de tranchées d’un autre âge appuyé sur le dernier cri de la technologie de drones kamikazes et de Starlink. Une boucherie dans laquelle des millions d’Ukrainiens ont sacrifié leurs énergies, leurs vies, celles de leurs proches pour ne pas subir une occupation militaire du dictateur Poutine. Non, les troupes russes n’ont rien à faire en Ukraine et le peuple ukrainien est le seul à même de décider de son sort !
Les grandes puissances occidentales ont trouvé en Zelensky, représentant de la bourgeoisie ukrainienne, un relais pour transformer cette volonté populaire de résistance bien légitime en une opération militaire destinée à affaiblir la Russie avec la peau des Ukrainiens. Car les lois de la guerre sont implacables : ce sont toujours ceux qui livrent les armes qui décident de sa conduite. Ici l’impérialisme américain, pour ses propres intérêts. Les troupes, conseillers et matériel militaire de l’Otan n’ont rien à faire non plus en Europe de l’Est !
Trump siffle brutalement la fin de la partie en coupant les livraisons d’armes sans préavis alors que l’armée russe continue son avancée. Il prétend imposer sa « pax americana » à un peuple ukrainien déjà à genoux. Et en plus, il lui présente la facture ! Les travailleurs ne doivent jamais remettre leur sort entre les mains de la bourgeoisie, y compris et surtout dans les situations les plus difficiles comme les guerres, mais maintenir une politique indépendante de tous les calculs des grandes puissances et des élites locales qui ne peuvent que se retourner contre eux. Plus facile à dire qu’à faire évidemment, mais une telle politique pourrait trouver parmi les travailleurs russes, parmi les soldats de la tranchée d’en face, des alliés bien plus puissants que les armes sous contrôle impérialiste.
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« L’Europe de la défense » ? La défense des milliardaires et des exploiteurs !
La présidente de la Commission européenne a annoncé avoir débloqué 800 milliards d’euros d’un claquement de doigts mardi 4 mars. Suspendues, toutes les règles budgétaires qui visent à limiter le déficit pour cet effort exceptionnel. Aucune exception en revanche pour la pauvreté endémique, la crise sanitaire permanente faute de moyens, le délabrement de l’éducation publique, victimes de cures d’austérité depuis des dizaines d’années.
800 milliards pour quoi ? Prétendument pour contrer le lâchage de Trump et remplacer les États-Unis dans l’aide militaire à l’Ukraine. Mais les dirigeants européens, toujours très divisés, proposent de fournir des troupes aux nouvelles frontières de l’Ukraine, précisément pour faire respecter un cessez-le-feu qui interviendrait par deal entre Trump et Poutine. Macron a ainsi conseillé à Zelensky de montrer « du respect et de la reconnaissance » aux États-Unis. Quant à Starmer, il pousse pour que l’Ukraine signe le deal sur les terres rares sans demander de contreparties aux États-Unis. Ces dirigeants s’engagent donc à être les supplétifs de ce brigandage sur le dos des Ukrainiens pour réclamer quelques miettes dans ce partage du gâteau.
800 milliards, c’est déjà beaucoup plus que ce que tous les pays occidentaux ont fourni au total comme aide à l’Ukraine depuis le début de la guerre. Macron et ses ministres veulent une « industrie de guerre » pour se défendre contre « la menace existentielle de la Russie ». Pauvre France impérialiste et nucléaire mais si démocratique, forcée de passer des milliards de commandes à Dassault, Thalès, Safran ou Airbus ! Un bel effort de « défense » de la patrie déjà très apprécié en bourse – et y compris à Wall Street car une majorité des commandes militaires européennes est passée à des multinationales américaines !
Les dirigeants européens ne savent plus où donner de la tête pour ne pas être marginalisés dans le grand jeu de la concurrence impérialiste face à la Russie mais surtout aux États-Unis et à la Chine. Ils prétendent être menacés par une invasion russe, alors qu’eux-mêmes sont des rapaces bien plus puissants, avec des bases militaires en Afrique, en Europe de l’Est et dans le monde, bien plus nombreuses. Ils agitent les peurs pour inciter à serrer les rangs derrière eux.
À bas l’union nationale : contre leur loi des plus forts, la nôtre, celle des travailleurs et des peuples de la planète
Il est encore difficile d’appréhender les conséquences possibles du retournement d’alliance des États-Unis, apparemment contre les États européens et en faveur de la Russie de Poutine. Des reconfigurations de rapports de force sont à l’œuvre, mues par les guerres commerciales que se font les multinationales, où les protectionnismes poussés à l’extrême peuvent faire basculer vers des conflits militaires. Quelques-uns de ces conflits sont sous nos yeux, en Europe (Ukraine), au Moyen-Orient (Israël contre Gaza) et en Afrique (en RDC).
Mais faire croire aujourd’hui, comme le font quelques dirigeants européens (dont des ministres de Macron) que l’Europe serait « sous la menace existentielle de la Russie » et d’une guerre mondiale d’agression contre elle, est du grand bluff pour justifier des investissements en armements (l’industrie de guerre étant la béquille de l’économie capitaliste) et tenter un embrigadement militariste et nationaliste sous le drapeau d’une « union nationale ». Les grandes puissances européennes, dont la France, ne sont pas des victimes de la marche à la guerre commerciale qui pourrait devenir guerre tout court, mais des acteurs qui jettent de l’huile sur le feu !
Les brigands qui sont à la tête de ces États visent aussi et surtout les travailleurs et les peuples rebelles du monde, qui sont leur ennemi commun. La menace d’une guerre mondiale est brandie par ces pompiers pyromanes pour tenter d’imposer dès aujourd’hui le maximum de sacrifices aux travailleurs et aux plus pauvres : salaires, pensions et allocations toujours rongés par l’inflation ; emplois supprimés en masse ; budgets sociaux amputés.
Sous le capitalisme, on peut mourir pour les industriels et les banquiers en croyant mourir pour la patrie, mais on peut aussi mourir pour eux à petit feu, par l’exploitation quotidienne sponsorisée par la menace de la guerre, le poison du militarisme, du nationalisme, d’une prétendue « union nationale » ou « union européenne » à défendre.
Ce sont ces pressions politiques d’États qui se militarisent auxquelles les travailleurs peuvent et doivent résister. Car cette guerre de classe est déjà là contre eux, pour les dissuader de se révolter, pour leur faire perdre confiance en leurs capacités d’offensive. Qui sont pourtant énormes. Liées au fait qu’ils produisent tout et peuvent de ce fait gripper le système capitaliste tout entier, en y introduisant le virus de la grève politique, prélude d’une révolution nécessaire.
Michelle Verdier, Raphaël Preston et Edouard McBeyne, 4 mars 2025