Michelin, Auchan, Vencorex, ArcelorMittal, Airbus… la vague de suppressions d’emplois continue de déferler et les annonces de ces grands groupes ne sont qu’une infime partie du carnage. À ces licenciements, il faut ajouter les faillites qui touchent pour l’essentiel les très petites entreprises (160 000 emplois selon le Conseil national des administrateurs judiciaires), les emplois induits qui triplent le total des suppressions d’emplois annoncées, et les intérimaires, premiers congédiés dans le plus grand silence. Mais la guerre menée aux travailleurs ne s’arrête pas là. C’est aussi plus discrètement, en poussant à des départs « volontaires » et à la signature d’accords de régression que le patronat s’apprête à saccager l’emploi. Face à cette hécatombe, l’État n’est pas « impuissant », comme on voudrait nous le faire croire, il est le premier responsable !
L’État a créé un droit sur-mesure pour permettre au patronat de licencier
Fidèle serviteur du patronat, l’État s’est évertué ces dix dernières années à détruire méthodiquement chacune des maigres digues qui encadraient dans la loi la liberté de licencier. À commencer par la très mal nommée « loi de sécurisation de l’emploi » de 2013, sous gouvernement socialiste, qui au prétexte de soumettre les « plans de sauvegarde de l’emploi » (PSE) au contrôle de l’administration et à la signature des syndicats, a en réalité fait de l’une et des autres des cautions aux suppressions d’emplois. Depuis, l’impunité est presque totale pour les licencieurs : le recours au juge est écarté, le contrôle des PSE par l’administration est un véritable blanc seing au patronat (seul 4 % de refus), quant à la signature des syndicats elle désarme évidemment les travailleurs qui voudraient se battre pour leur emploi et contribue à l’impunité des PSE devant le juge.
Puis, quand il était ministre de l’Économie, Macron a porté la loi 6 août 2015, qui renforce l’arbitraire en cas de licenciements et réduit le contrôle du PSE en cas de redressement ou liquidation judiciaire. L’obligation de chercher un repreneur, introduite avec la loi « Florange » promulguée dans le sillage de la fermeture des hauts fourneaux d’ArcelorMittal en Moselle, ne s’impose qu’aux entreprises de plus de 1000 salariés, pour quelques mois seulement, et pas mêmes à celles qui ont fait faillite… Et preuve que les lois prises soi-disant dans l’intérêt des travailleurs se retournent toujours contre eux : le droit admet aujourd’hui que la simple perspective d’un repreneur justifie… de licencier en amont !
Quant à la loi Travail de 2016 et aux ordonnances Macron en 2017, elles parachèvent le droit sur-mesure des licencieurs. Les difficultés économiques justifiant de licencier ne sont plus appréciées strictement, et plus au niveau de tout le groupe mais de la seule filiale française, autorisant ainsi les multinationales à organiser la déconfiture artificielle de celle-ci pour licencier – et à bas coût, puisque les mesures contenues dans le PSE sont largement allégées et que les patrons n’ont même plus à chercher un reclassement à chaque salarié. C’est exactement ce qui s’est passé à MA France, dont les salariés se battent depuis six mois contre la fermeture. Enfin, le « barème Macron » plafonne les indemnités reçues en cas de licenciements injustifiés (pour ceux qui endurent le parcours du combattant des prud’hommes), permettant aux entreprises de provisionner les sommes et de poursuivre leurs licenciements même sans aucun motif économique, sans que ça ne leur en coûte – comme pour ceux de PSA Aulnay, fermé en 2012, alors que les salariés ont fait reconnaitre en justice que le groupe n’avait aucune raison économique à cela.
Plans de départs « volontaires », accords de régression… Une guerre sociale menée sous la menace du chômage
Non content de faciliter les licenciements, le législateur permet depuis des années aux employeurs d’échapper au droit du licenciement en procédant à des suppressions d’emplois par accords collectifs. Accords délétères dont la signature est facilitée par la menace du chômage. Ce sont les plans de départs dits « volontaires », machines à suppression d’emplois à bas bruit, systématisées dans l’automobile notamment, appelées aujourd’hui ruptures conventionnelles collectives (RCC), ou encore ces outils de flexibilisation à l’extrême que sont les accords de performance collective (APC), présentés comme du « donnant-donnant » alors que seul le patron y gagne : baisse drastique des salaires, augmentation du temps de travail, mutations – le tout sans aucune garantie d’emploi et sous la menace, puisque tout salarié réfractaire peut être licencié. C’est ce dont ont été menacés ceux de Saverglass par exemple, 5 % de baisse de salaire alors qu’ils sortaient déjà de six mois de chômage partiel. Car rien n’empêche les groupes de cumuler chômage partiel (payé par les cotisations et les impôts de tous), des accords de régression, et de licencier quand même ensuite ! Comble de l’arnaque : ces grands groupes sont de surcroit sous perfusion d’argent public – crédits d’impôt divers, exonérations de cotisations, plans de relance, etc. Une manne astronomique qui est donc transférée directement des poches des travailleurs à celle de leurs patrons, pour mieux qu’ils licencient aujourd’hui.
Mais la vague actuelle de licenciements fait voler en éclat le discours macroniste éculé selon lequel cette politique pro-patronale dite « politique de l’offre » (baisse des impôts pour le capital, subventions à gogo, flexibilisation du travail, réformes des retraites et de l’assurance chômage) serait bonne pour l’emploi et donc profiterait aussi aux travailleurs – à qui on impose des sacrifices, mais ce serait pour leur bien ! C’est bien cette politique qui accélère l’augmentation du chômage dans le retournement de conjoncture actuel. Non, il n’y a pas de « communauté d’intérêts » entre patronat et travailleurs, vieille rengaine déjà omniprésente dans la Charte du travail sous Vichy, et reprise aujourd’hui par les gouvernements successifs.
Tenter de lier les mains des travailleurs en engluant les syndicats dans un dialogue social, qui prétend remplacer la lutte de classe mais ne sert que le patronat, ne fera pas disparaitre cette réalité. La lutte de classe reprend ses droits – c’est ce que montrent les grèves qui se multiplient et qui auraient tout intérêt à se coordonner pour frapper ensemble l’ennemi commun. Avec comme perspective d’imposer au patronat l’interdiction des licenciements et le partage du travail sans baisse de salaire jusqu’à l’extinction du chômage.
Hélène Arnaud