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Je suis toujours là, film brésilien de Walter Salles

Le film, sorti en 2024, est basé sur une histoire vraie, celle de la disparition de Rubens Paiva durant la dictature militaire brésilienne en 1971. Paiva, député du Parti travailliste, est déchu de ses fonctions en 1964 lors de l’arrivée au pouvoir de la junte militaire et il est alors contraint à l’exil, séparé de sa famille. Quand il rentre au Brésil en 1966, il annonce officiellement renoncer à la politique pour se consacrer à ses travaux d’ingénieur et d’architecte. Les vingt-cinq premières minutes du film participent de ce faux-semblant. La vie de la famille est libre, douce et insouciante pour les cinq enfants de Rubens et de son épouse Eunice dans la grande maison bourgeoise qui donne sur la baie de Rio de Janeiro. Au retour de la plage, on y fait souvent la fête, la table est bien garnie, les amis sont nombreux, le contexte politique semble relégué aux informations à la télévision et à quelques coups de téléphone discrets. C’est une caméra Super 8, maniée avec impertinence par Veroca l’ainée des filles qui capte ces improbables moments de bonheur, qu’on pressent éphémères alors que des hélicoptères militaires survolent la plage après avoir largué en pleine mer les corps des opposants que le régime enlève avant de les torturer. Quand Paiva est brutalement enlevé chez lui par des sbires du régime, le film bascule. Rien ne sera plus comme avant. Eunice devient alors le personnage central du film. Elle-même enlevée et torturée pendant douze jours, Eunice est relâchée mais Rubens lui, ne rentrera jamais à la maison. S’il faut continuer à vivre, à sourire, il ne faut jamais renoncer une seule seconde à connaître la vérité sur la disparition de l’être aimé. Ce sera le combat du reste de la vie d’Eunice, aux côtés de ses enfants. C’est seulement en 1996 que l’État brésilien reconnaîtra officiellement la mort de son mari. Le corps de Rubens Paiva n’a jamais été retrouvé. Comme celui de centaines d’autres militants enlevés par les militaires qui quitteront le pouvoir en 1984 après avoir fait voter une loi d’amnistie exonérant de jugement tous les tortionnaires. Le film a rencontré un immense succès populaire au Brésil, avec plus de 3,5 millions de spectateurs, pour lesquels sans doute, ni l’oubli ni le pardon ne sont à l’ordre du jour. Depuis sa sortie en France le 15 janvier il cartonne aussi, n’hésitez pas à le découvrir rapidement !

Marie Darouen