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RN : derrière la démagogie sociale, le même discours raciste, sexiste et pro-patronal

Le rejet quasi unanime de la réforme des retraites par le monde du travail a poussé le RN à changer de discours pour ne pas s’opposer à une partie de son électorat. Les 89 députés lepénistes prétendent s’opposer à cette réforme depuis les bancs de l’Assemblée nationale, pour en tirer les fruits lors des prochaines élections. Une démagogie « sociale » opportuniste… agrémentée d’un discours sexiste et raciste qui est la marque de fabrique du RN pro-patronal et anti-ouvrier.

Sur l’âge de la retraite, souvent l’extrême droite varie…

Contrairement à Zemmour qui est pour la réforme, Le Pen, Bardella et tous les députés du RN se présentent comme les meilleurs opposants au recul de l’âge de la retraite à 64 ans. Ils critiquent Borne et Macron, mais épargnent systématiquement le patronat, qui serait le vrai gagnant si la réforme venait à s’appliquer. Une posture facile pour Le Pen qui se présente comme l’opposante numéro un à Macron.

En revanche, c’est bien plus difficile de savoir ce que le RN défend sur les retraites… Il faut d’abord se souvenir de la volte-face effectuée par la candidate Le Pen lors des élections présidentielles de 2022 par rapport à ce qu’elle défendait en 2017, quand elle revendiquait la retraite à 60 ans, avec 40 annuités pour une retraite à taux plein.

À la présidentielle de 2022, lors de la présentation à la presse de son « programme retraites », Marine Le Pen oubliait la retraite à 60 ans et inventait le « travailler plus tôt, pour partir plus tôt ». Son idée : pousser les jeunes à se faire exploiter dès 17 ans pour espérer partir dès 60 ans.

Par contre, celles et ceux qui commenceront à travailler à 25 ans ou plus tard devront attendre l’âge d’annulation de la décote, 67 ans, pour partir avec le taux plein.

Le journal Les Échos, peu sensible aux intérêts de la classe ouvrière, ne s’y trompait pas et titrait le 17 février 2022 : « Présidentielle : Marine Le Pen prône la retraite entre 60 et 67 ans » ! La même annonçait également vouloir mettre fin au régime de la pénibilité : « Ma réforme règle le problème de la pénibilité en créant un dispositif simple et efficace » en expliquant qu’une carrière précoce rime souvent avec un travail pénible, donc plus besoin du dispositif « carrières longues ». Encore un petit effort et avec le retour au travail dès 14 ans, les retraites ne coûteraient plus grand-chose au patronat !

Sous la pression des manifestations, Le Pen et ses députés restent volontairement flous sur leur véritable programme : l’âge légal à 62 ans avec les 43 annuités prévues par la loi « Touraine » de Hollande en 2014.

Quant au montant minimum des pensions, Le Pen faisait du Macron puisqu’elle défendait le minimum contributif à 1100 euros (Borne et Dussopt promettent 1200 euros brut). Et quand le RN lançait une proposition de loi pour inciter les entreprises à augmenter les salaires de 10 % le mois dernier, c’était en exonérant les patrons de cotisations ! Une « augmentation » en trompe-l’œil qui ne coûterait rien au patronat mais grèverait d’autant le budget de l’État puisque c’est celui-ci qui compense les exonérations de cotisations dites de « sécurité sociale » depuis 1994 !

C’est la logique habituelle du RN : ne jamais chercher à prendre l’argent où il y en a, c’est-à-dire dans les caisses du patronat. Quant aux « solutions » ressassées de génération en génération par les Le Pen et leurs affidés vantant le « patriotisme économique » et la « réindustrialisation ambitieuse de la France », il faut les comprendre comme une incitation à élever encore plus le montant des aides publiques de l’État aux entreprises qui s’élèvent déjà à 160 milliards d’euros !

Mais de sa ligne sexiste et raciste, jamais elle ne bouge

Plutôt que de faire payer le patronat, le RN revendique de faire des enfants. « Les bébés de 2023 sont les cotisants de 2043 ». « La France n’a jamais été aussi peuplée mais elle n’a jamais fait aussi peu de bébés », a déclaré Bardella au micro de BFMTV le 24 janvier. Et voilà la bonne vieille recette nataliste chère à l’extrême droite qui fait son grand retour pour sauver les caisses de retraite du déficit !

Mais pas n’importe quels enfants : pour financer les retraites, il faut produire des petits « Français ». Le vice-président RN de l’Assemblée nationale, Sébastien Chenu, l’a dit encore plus clairement sur France Inter le 13 février : « Je préfère qu’on fabrique des travailleurs français plutôt qu’on les importe. » Manière d’ajouter au racisme et au sexisme un mépris social assumé : pour le RN, l’essentiel est de fournir une main-d’œuvre « française » au patronat. D’ailleurs, en septembre dernier, plusieurs députés RN ont déposé une résolution à l’Assemblée nationale visant à faire de l’année 2024 « une année dédiée à la relance de la natalité française ». Bon, les femmes au foyer, les travailleurs au boulot, l’avortement dissuadé : famille, patrie… et travail dès 14 ans, l’extrême droite fait du classique !

En fait, au RN comme chez Reconquête, la défense de la natalité est liée à cette obsession raciste de l’opposition au prétendu « grand remplacement », qui prône l’arrêt de l’immigration comme solution à tous les problèmes sociaux.

Chômage, précarité, retraites, dette publique, disparition des services publics, on tape sur les immigrés au sens figuré avant de pouvoir le faire au sens propre, comme dans les pays où l’extrême droite est au pouvoir. Et l’exemple de la Hongrie de Viktor Orbán fait fantasmer les lepénistes qui viennent y chercher leurs propositions de loi. Depuis dix ans, une politique destinée à relancer la natalité dans ce pays a été mise en œuvre : aide de 7 000 euros pour une voiture de sept places, prêt immobilier de plus de 100 000 euros garantis par l’État si on s’engage à faire plus de trois enfants, et, tout dernièrement, les Hongroises de moins de 30 ans décidant d’avoir ou d’adopter un enfant ne sont plus soumises à l’impôt sur le revenu !

Le discours nataliste du RN n’est pas pour déplaire à une bonne partie de la droite. « La soutenabilité de notre système nécessite qu’on inverse la courbe de la natalité », déclarait Marleix, le chef de file des députés Les Républicains, le 1er février devant l’association des journalistes parlementaires. D’ailleurs le RN s’inspire du « plan natalité » promu par Bayrou. Gageons que tous ces gens-là, et au-delà dans les rangs macronistes, sauront faire preuve d’unité renouvelée lorsque les débats autour de la loi Darmanin « sur l’immigration » s’ouvriront à l’Assemblée nationale. Car fondamentalement, l’opposition du RN n’est qu’une façade. L’objectif n’est pas de faire reculer le gouvernement, mais de préparer les prochaines élections.

Le pari de la défaite sociale… en vue des prochaines élections

Le secrétaire général du groupe RN à l’Assemblée l’a dit mieux que personne : « Au fond, la question n’est pas de savoir qui gagne, mais qui sera le réceptacle de la colère née de cette réforme. » On était habitués au cirque parlementaire, mais là, le RN fait carrément du cinéma !

Lors de sa dernière interview à Sud Radio le 8 février, Bardella déclarait : « c’est à l’Assemblée nationale que le RN mène son opposition, parce que nous avons le premier groupe d’opposition à Emmanuel Macron. » Le président du RN n’appelle pas à manifester et même s’oppose aux grèves. Alors que le monde du travail montre sa force et sa détermination dans la rue depuis le 19 janvier et que les appels à une grève dure se multiplient pour le 7 mars, Bardella l’assume : « j’ai une ligne claire : le blocage, qui est la double peine pour les Français. Ils ont la réforme à 64 ans et en plus des difficultés pour mettre de l’essence. Les gens n’ont pas besoin de ça ! »

Là au moins, les choses sont claires du côté de l’extrême droite : ce n’est pas dans la rue que ça se passe. Un peu dans l’hémicycle : quelques amendements mais pas trop pour se montrer « responsables » et se différencier de la Nupes, et une petite motion « référendaire » voire une motion de censure pour se faire mousser. Mais plus fondamentalement, l’espoir que le monde du travail ne parvienne pas à faire reculer Macron par ses propres armes, car ce n’est pas le projet du RN. Le calcul de Le Pen : jouer la comédie de l’opposante numéro un à Macron pour en tirer les fruits électoraux après une défaite du monde du travail.
Alors, voilà la double feuille de route que nous pouvons nous donner : faire remballer à Borne, Macron et au Medef leur réforme, en gagnant le rapport de force grâce à la grève générale ; et repousser en même temps l’extrême droite qui espère ramasser la mise. Pour faire taire Le Pen et le RN, il faut que les travailleurs se fassent entendre encore plus fort, et avec leurs propres armes et contre leurs vrais ennemis : Macron, mais aussi le patronat qui est derrière cette réforme.

Quoi de mieux qu’une grève générale pour faire reculer les uns… et les autres ?

Marie Darouen et Hugo Weil