Fin décembre, la sauteuse à ski Selina Freitag dénonçait la différence de récompense entre hommes et femmes dans le ski de haut niveau pour la victoire lors des qualifications d’une étape : 3 200 euros pour l’homme, du gel douche, du shampoing et des serviettes pour la femme. Quant aux vainqueurs, les uns récupèrent un chèque de 105 000 euros, les autres… un chèque de 10 000 euros. Cette question des primes dans le sport de haut niveau reflète les inégalités de genre et le sexisme qui existent dans le sport… à tous les niveaux.
La démocratisation du sport féminin, la façade…
Les organisateurs des Jeux olympiques de Paris se sont vantés d’être les plus égalitaires de l’histoire, les premiers où les femmes participaient numériquement à l’égal des hommes. Depuis quelques années, les déclarations d’organisations sportives et de politiques se multiplient pour annoncer des hausses de budget pour le sport féminin. Jean-Michel Aulas, vice-président de la Fédération française de football (FFF) a annoncé entre 10 et 12 millions d’euros d’investissements par la FFF dans la première division de foot féminin et un objectif de doubler le nombre de licenciées d’ici 2028, tandis que l’union des associations européennes de football (UEFA) souhaite investir un milliard d’euros dans le foot féminin en Europe d’ici à 2030.
De louables et tardives initiatives, qui masquent à peine que la féminisation du sport est rentable pour les marques ! Selon une étude de Kantar TNS (entreprise de conseil spécialisée dans les sondages) de 2019, 69 % des sondés ont une meilleure image d’une marque engagée dans le sport féminin. On trouve des sponsors comme Arkema qui donne son nom à l’équivalent de la ligue 1 de football ou Mastercard qui finance des plans de développement et de marketing du rugby féminin (« Try and stop us », « Essayez de nous arrêter » en français, campagne marketing du rugby féminin dans le monde entre 2017 et 2025). Par ailleurs, plus le nombre de licenciées augmente, plus les bénéfices des clubs, associations et fédérations sportives augmentent en général. Entre 2018 et 2021, le volume horaire de diffusion du sport féminin a augmenté de 50 %, selon l’Arcom. Si on se réjouit d’une démocratisation du sport au féminin, on ne peut que dénoncer l’hypocrisie des patrons du sport.
… qui cache des inégalités toujours bien présentes
Ainsi, cette augmentation de la diffusion du sport féminin cache le fait qu’elle ne représente que 3,6 % des retransmissions sportives au total en France en 2022. Le sponsoring, aujourd’hui primordial dans le système capitaliste pour les athlètes, est presque exclusivement masculin. Selon une étude de l’Unesco, seulement 0,4 % du sponsoring sportif mondial est destiné aux femmes. En France, les licenciées (tous sports confondus) représentent un tiers des effectifs. Quant aux licenciées du foot féminin, elles représentent 10 % du total des licenciés du foot français.
Tout ça parce que les femmes seraient moins « douées » pour le sport ? Pas vraiment… les raisons de l’infériorité numérique des femmes dans le sport s’expliquent, autant par des clichés qui cantonnent les femmes à une supposée féminité éloignée des terrains, que par le sous-investissement dans le sport féminin. Dans le cas du rugby féminin, le manque de financement et de professionnalisation (principalement des CDD) empêche de nombreuses joueuses de se consacrer entièrement à leur pratique. Les joueuses ne sont pas toujours disponibles, car elles travaillent, et les patrons ne les libèrent pas les jours de match, raconte Clémence Gueucier, directrice sportive de l’AC Bobigny, club de première division. Pour autant, on demande presque autant aux femmes qu’aux hommes sur les terrains, affirme Léo Brissaud, l’entraîneur du FC Grenoble Amazones (club de première division également) : « Aujourd’hui, une des premières causes d’arrêt [est la différence entre] le niveau d’exigence attendu et les conditions dans lesquelles on met les joueuses. […] Globalement, on demande à des joueuses d’avoir un taux d’investissement quasiment identique : regarder les matches, faire de l’analyse, au minimum trois fois par semaine de la musculation, des entraînements […] la récupération, se développer individuellement… »
Le sport dans la société capitaliste reproduit les mêmes inégalités et oppressions que dans le reste de la société : les salaires plus bas, des métiers plus instables car plus souvent à temps partiel, sans parler des grossesses qui contrecarrent les « carrières » (Clarisse Agbegnénou, Amel Majri). Ce qui explique pourquoi l’Oxfam estime que trois femmes sur quatre ne pratiquant aucune activité physique sont employées ou ouvrières.
De plus, le rapport au corps dans le sport en fait un environnement propice aux violences sexistes et sexuelles. Les abus sexuels dans le cadre du sport sont aussi la règle : 21 % des athlètes féminines en ont subi lorsqu’elles étaient enfants, deux fois plus que les athlètes masculins. À l’âge adulte, 55 % des athlètes féminines rapportent avoir été victimes de harcèlement ou d’abus sexuels au cours de leur carrière, selon une étude de la Commission européenne. Les agresseurs, qu’ils soient athlètes, coachs, sponsors ou délégués des fédés (toutes fonctions à responsabilité très largement occupées par des hommes), peuvent encore compter sur l’omerta des violences sexuelles dans le sport, bien que celle-ci commence à être ébranlée par des prises de paroles publiques.
Des inégalités justifiées par des arguments réactionnaires
En plus de ces conditions d’exercice, les idées réactionnaires sont une pierre de plus à l’édifice d’inégalités dont est composé le sport féminin. La différence de traitement entre hommes et femmes s’expliquerait par des différences biologiques, partant du principe que les femmes sont moins performantes que les hommes, ce qui, dans le contexte, revient à réaffirmer les stéréotypes de genre. La nature revient au galop quand il s’agit de répéter à la moitié de l’humanité que le dépassement de soi est une valeur masculine (sauf pour des représentations quasiment artistiques telle que la natation synchronisée ou la gymnastique), d’imposer des métiers instables qui ne permettent pas de se consacrer au sport et de ne pas financer le sport féminin à la hauteur du sport masculin.
Par ailleurs, les organisations sportives ne sont pas exemptes de la répétition de ces clichés, pratiques et interdictions sexistes. Les nombreuses injonctions sur les tenues des sportives aux Jeux olympiques de Tokyo de 2021 sont parlantes : tenue jugée « trop courte et inappropriée » pour Olivia Breen, championne du monde paralympique, amendes pour les joueuses de handball norvégiennes qui avaient eu le malheur de s’habiller en short comme leurs homologues masculins et non en bikini « ajusté et échancré », etc.
Bien sûr, des différences biologiques existent entre hommes et femmes, mais ce n’est pas le critère premier de l’ampleur des différences de résultats dans le sport (il faut davantage les chercher dans la différence de socialisation des garçons et filles, à bien des niveaux). Derrière les attaques contre le sport féminin, il y a avant tout le maintien et la défense de « l’ordre moral » bourgeois, qui consacre l’oppression des femmes. Et derrière se profile la défense de la famille, courroie de transmission des oppressions et des inégalités. Un des piliers de la société de classe où les oppressions sont utilisées et déversées par en haut, et qu’il nous tarde de mettre à la poubelle.
François Cichaud
https://www.la-croix.com/foot-feminin-entre-10-et-12-millions-d-euros-investis-par-la-federation-assure-aulas-20240919
https://www.lequipe.fr/Football/Actualites/L-uefa-veut-investir-1-milliard-d-euros-pour-developper-le-football-feminin-en-europe/1517248
https://www.osponso.com/blog/linvestissement-dans-le-sport-feminin-une-opportunite-lucrative-et-inspirante-pour-les-sponsors
https://www.fff.fr/80-le-budget-et-les-chiffres-cles.html
https://www.ledauphine.com/sport/2024/10/08/remunerations-minimes-double-vie-fortes-exigences-la-galere-des-feminines-a-grenoble-et-bobigny#:~:text=Le%20budget%20de%20l’équipe,a%20doublé%20en%20cinq%20ans