Nos vies valent plus que leurs profits

De l’intérêt d’afficher la couleur, aujourd’hui comme hier

Jeudi 6 mars, un cinéma de l’agglomération caennaise accueillait dans sa grande salle de 300 places – comble – la projection de Rouge, la couleur qui annonce le journal, « un documentaire sur l’histoire du quotidien de la LCR » produit par le NPA-L’Anticapitaliste et réalisé entre autres par Olivier Besancenot et Fred Speelman, le responsable du centre d’archives RaDAR.

Tourné intégralement dans l’imprimerie d’où sortait le journal, le film donne la parole à celles et ceux qui l’ont fait jour après jour pendant près de trois ans, entre le 15 mars 1976 et le 2 février 1979. Des témoins qui pour certains redécouvrent après des années sans y retourner des locaux chargés de souvenirs – et apparemment pas tellement changés. Achat rocambolesque de la première rotative, rythme de travail effréné toutes les nuits, fierté de jouer dans la cour de la presse professionnelle, tout en s’efforçant d’instaurer des rapports égalitaires entre salariés : on perçoit très bien l’aventure humaine qu’a représenté cette tentative de hisser une publication révolutionnaire à la hauteur du nouveau lectorat apparu avec Mai 68.

On aurait aimé en savoir plus sur les raisonnements et calculs politiques qui ont présidé au lancement du journal, à une époque où la LCR espérait construire le parti révolutionnaire en toute indépendance de la gauche institutionnelle. Mais les acteurs principaux, Alain Krivine et Daniel Bensaïd, ne sont malheureusement plus là pour nous éclairer. Et les militants interviewés côté rédaction n’en parlent pas davantage – leur parcours professionnel et politique ultérieur les a emmenés bien loin de leurs idéaux de jeunesse ; ceci explique peut-être cela… On aurait aussi aimé comprendre comment à l’autre bout de la chaîne les militants participaient à la diffusion du journal, ou tiraient parti de la vente en kiosque par les canaux de distribution de la grande presse.

La petite heure et demie du film s’achève avant. Les lumières se rallument. Fred Speelman et Olivier Besancenot viennent discuter avec le public. Sympathique et attentif à chaque intervention, Olivier Besancenot ne semble néanmoins pas pressé de parler de politique. Avant la projection, un camarade du comité local du NPA-L’Anticapitaliste a certes placé la soirée sous le signe de la solidarité avec les peuples palestinien et ukrainien, mais sans dire un mot du réarmement annoncé la veille par Macron à la télévision.

La seule intervention délibérément politique d’Olivier Besancenot ce soir-là sera pour prendre à témoin la salle que, face à la montée de l’extrême droite, l’espoir reste permis, comme l’a montré… le « sursaut miraculeux » des électeurs de gauche aux législatives de l’été dernier. Pour le reste, il faut avoir le courage de « douter » et de ne pas avoir de « solutions toutes faites » et, si on comprend le sous-texte, simplistes voire dogmatiques car clairement révolutionnaires. Une spectatrice l’interpelle sans détours : « Qu’est ce qu’on fait maintenant ? » La réponse reste bien vague. À la projection de Montpellier, raconte Olivier, une militante de l’organisation de jeunesse du NPA-L’Anticapitaliste s’étonne que son organisation ait jadis publié un journal… avant qu’Olivier lui signale qu’elle en publie toujours un. Lui y voit un signe de la primauté des réseaux sociaux. Pour sa part, l’auteur de ces lignes y voit la difficulté à faire exister sa presse quand on n’affiche plus la couleur de ses origines. Au « courage du doute », nous préférons l’affirmation claire et nette que nous ne devons pas compter sur les politiciens de gauche mais sur nos luttes et notre organisation.

Correspondant