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Ernest Cole, photographe, documentaire de Raoul Peck


Ernest Cole, photographe
, documentaire de Raoul Peck
2024, en salle

Raoul Peck, le cinéaste haïtien réalisateur entre autres de I am not your Negro (2016) sur la lutte des Noirs américains pour les droits civiques, puis du film Le jeune Karl Marx (2017), présente cette fois un documentaire sur les 60 000 négatifs du photographe sud-africain Ernest Cole retrouvés en 2017 dans le coffre d’une banque suédoise. Le photographe Ernest Cole (1940-1990), mort quelques jours après l’accession au pouvoir de Nelson Mandela qui marque la fin de l’apartheid, était convaincu de leur disparition.

Ces photographies sont des chefs-d’œuvre au travers desquels défile l’histoire de l’apartheid, capturé par la lumière crue du flash de Cole qu’accompagne la voix de Raoul Peck qui y formule les commentaires de l’artiste. On y voit les compatriotes de Cole logés dans habitations de fortune, harcelés par la police, violentés et injuriés par les Afrikaners, exclus des services publics « interdits aux animaux et aux non-blancs » comme l’indique une pancarte plantée devant un banc « public » ; réprimés enfin lorsqu’ils se révoltent contre cet ordre inhumain, ainsi qu’ils le firent à Soweto en 1976.

Ernest Cole avait déjà publié aux États-Unis, en 1967, un livre de photographies, House of Bondage (« La maison des servitudes ») – réédité en 2023 – sur l’histoire de l’apartheid sud-africain, suite à quoi il avait déclaré : « En Afrique du Sud j’avais peur d’être arrêté, dans le sud des États-Unis j’avais peur d’être tué. » Un pays dans lequel les droits civiques venaient pourtant d’être conquis. Alors Ernest Cole saisit avidement cette nouvelle réalité sur le vif, ce qui ne comble pourtant pas les souffrances d’un homme déraciné, isolé, plein du remords de ne pas participer directement à la lutte des Noirs dans son pays.

Louis Dracon