Nos vies valent plus que leurs profits

Message de Speak Out Now au congrès du NPA-R

Chers camarades, nous vous adressons notre salut fraternel à l’occasion de votre congrès.

Nous regrettons de ne pas avoir pu faire le déplacement pour y assister. Nous sommes, vous pouvez l’imaginer, accaparés par le besoin de répondre à la situation politique ouverte par l’accession de Trump au pouvoir, au mieux de nos modestes possibilités – modestes au regard de la taille très limitée de notre organisation, mais pas des perspectives révolutionnaires qui nous sont communes des deux côtés de l’Océan, soyons-en persuadés. N’étant pas présents, nous tenons néanmoins à apporter la contribution suivante à vos débats.

Nous militons dans la puissance qui porte une responsabilité majeure, pour ne pas dire plus, dans bon nombre des drames qui endeuillent la planète, de Gaza à l’Ukraine, du fait des guerres comme de catastrophes qui n’ont de naturelles que le nom, et qui sont appelées à se multiplier et à gagner en pouvoir de destruction. En particulier, nous sommes d’accord avec vous pour considérer que la manière dont le cessez-le-feu a été conclu à Gaza, sous les auspices conjoints du président sortant et du président entrant des États-Unis, montre que Biden avait les moyens d’imposer la fin des combats dès leur début.

Mais à cette force, nous savons, nous comme vous, qu’il est possible d’opposer une autre force : la réponse de la population dans son ensemble, en particulier la classe ouvrière, prenant elle-même son sort en mains, dans les mouvements qui surgissent en réponse à l’autoritarisme croissant et à l’austérité imposés par ceux qui sont au pouvoir. L’avenir est du côté des puissantes réactions qui ont eu lieu dans de nombreuses régions du monde, plus récemment en Corée du Sud, mais aussi en Iran, dans de nombreuses régions d’Afrique et ailleurs. En comparaison, malgré l’opposition de la majorité des Américains au génocide de Gaza, la réaction a été plutôt discrète. Et nulle part la classe ouvrière de notre pays ne s’est engagée dans ces luttes en tant que force unifiée. Ce qui n’est pas une raison pour cesser de militer dans cette direction, en fait c’est même tout le contraire !

Durant la campagne présidentielle, Trump n’a pas manqué de faire des déclarations d’amour au monde du travail et aux classes populaires. Toute sa politique va néanmoins consister à défendre les intérêts de ceux qui l’ont réellement mis au pouvoir : les capitalistes, la bourgeoisie américaine. Il va garantir leurs profits et augmenter la quantité de richesses détournées vers les coffres des plus riches en réduisant les impôts pour les riches et les programmes sociaux destinés à la classe ouvrière. Vous avez sans doute entendu parler de la panique qu’ont suscité les premières annonces de gel des dépenses fédérales. Même si l’administration Trump a tenté d’en minimiser la portée, on peut tenir pour certain que les programmes sociaux de base financés par le gouvernement et qui fournissent de la nourriture, un logement, des soins de santé et d’autres éléments essentiels à la vie vont être attaqués. Sont aussi dans le collimateur les agences qui freinent la machine à profits en réglementant les impacts environnementaux, les conditions de travail, les droits des consommateurs et d’autres encore. Cela profitera à certaines sections de la classe capitaliste plus qu’à d’autres, car ses intérêts ne sont pas homogènes. Cependant, même ceux qui ont par le passé exprimé leur défiance envers Trump ont choisi depuis son élection de lui faire allégeance. Ils ne veulent pas laisser passer le train du trumpisme sans monter dedans, sans se faire photographier à ses côtés à la cérémonie d’investiture il y a dix jours.

Pendant ce temps, les démocrates sont en plein désarroi, et c’est un euphémisme. Leur campagne vantant les prétendues grandes réalisations de l’administration Biden a montré à quel point ils sont déconnectés d’une grande partie de la population, en particulier des travailleurs et des jeunes. Bernie Sanders, Alexandria Ocasio-Cortez, alias AOC, et d’autres soi-disant progressistes sont restés silencieux et fidèles à Biden jusqu’au dernier jour de sa candidature, puis à Harris. La plupart d’entre eux ont même refusé de s’opposer au génocide de Gaza. Après l’élection, certains ont émis des critiques désolées sur la stratégie électorale, mais ils ont généralement déçu leurs partisans qui espéraient une véritable transformation du Parti démocrate, voire une nouvelle formation politique, à la suite de leur échec lamentable à un moment aussi important. Ils considèrent néanmoins toujours la politique électorale et le Parti démocrate comme le seul moteur du changement politique. Ils se concentreront probablement dans les mois à venir sur la campagne des « midterms », les élections de mi-mandat en 2026.

Les Démocrates et les Républicains ont dépensé plus de 11 milliards de dollars, rien que pour les publicités, dans l’ensemble de ces élections 2024. Cela, et les règles qui assurent un quasi monopole aux deux partis, a invisibilisé les soi-disant tiers partis : il y en avait en fait bien plus que trois, et pas tous à gauche des Démocrates, au contraire ! L’organisation Party for Socialism and Liberation, issue du SWP et maintenant bien éloignée du troskisme mais défendant néanmoins l’idée que les classes populaires doivent s’opposer aux capitalistes, a déployé des efforts considérables et a obtenu près de 161 000 voix. L’organisation sœur de Lutte ouvrière, Spark, a mené sa campagne pour le Working Class Party et obtenu des scores non négligeables dans des élections locales.

Il est très difficile de se porter candidat dans certains États. Cet effort important constitue une campagne en soi. Nous n’avons évidemment aucun moyen d’évaluer l’impact de ces efforts électoraux, si ce n’est qu’ils ont permis de voter contre les candidats des deux grands partis capitalistes.

Rappelons-le, Trump n’a pas été élu par une mobilisation historique comme il le prétend. Il n’a battu les Démocrates que parce que ces derniers se sont effondrés.

Ils ont payé le prix d’une politique anti-sociale dont ils ont fièrement revendiqué les résultats durant la campagne : les capitalistes américains se sont renforcés pendant les quatre ans du mandat Biden. Leurs affaires vont bien, leurs profits encore mieux. À force de qualifier de fake news trumpistes les critiques rappelant les ravages de l’inflation – 61 % sur les prix de l’énergie, 25 % sur les prix des denrées alimentaires, 22 % sur les dépenses d’assurance maladie, qui chez nous pèsent bien plus que chez vous dans le budget des travailleurs, ou les conduisent à ne pas se soigner –, ils ont… pavé la voie à Trump.

Mais l’élection de ce dernier n’efface pas les problèmes, bien au contraire. L’inflation a contraint les Américains à recourir encore plus au crédit. La dette des ménages s’élève aujourd’hui à 17 900 milliards de dollars. La dette étudiante totale s’élève à plus de 1 000 milliards de dollars, à comparer avec les 3 000 milliards de dollars de profits des entreprises américaines au seul troisième trimestre 2024. Le taux de chômage officiel oscille autour de 4 %. Mais le taux de chômage réel est à 9,3 %. L’ère Biden a créé des emplois, oui. Mais à bas salaire, à temps partiel, le genre de job qu’il faut cumuler avec un ou deux autres du même genre pour tout juste vivre. Et on pourrait longtemps continuer la liste des faits sociaux par lesquels la classe ouvrière paye jusque dans sa chair la domination des capitalistes. L’assassinat du patron d’UnitedHealthCare a mis en lumière les pratiques du secteur de l’assurance-maladie : six adultes assurés sur dix rencontrent des problèmes lorsqu’ils doivent se faire rembourser leurs soins.

Trump a déclaré qu’il fonctionnerait comme un dictateur dès le premier jour. Force est de constater qu’il ne ménage pas sa peine pour en donner l’impression. Il cible les migrants, les personnes trans, les communautés pauvres et reléguées, et en fin de compte l’ensemble des classes populaires des États-Unis.

Notre principale préoccupation dans les temps à venir sera non seulement de participer mais aussi de chercher à impulser les ripostes indispensables à ces attaques.

En 2024, il y a eu 31 grèves impliquant plus de 1 000 travailleurs, selon le Bureau des statistiques du travail. Sur ces 31 grèves, 17 ont duré une semaine ou moins. Les grèves les plus intenses dans le secteur privé ont été celles d’AT&T (18 000 travailleurs) et de Boeing (33 000), toutes deux caractérisées par le rejet d’accords de principe négociés par les dirigeants syndicaux. Le secteur des soins de santé est celui qui a connu le plus grand nombre de grèves, dont certaines dans le secteur public. C’est du côté de ces luttes qu’est l’avenir. C’est par là que nous pouvons faire reculer les capitalistes et les gouvernements qui les servent, chez vous comme chez nous.


Speak Out Now