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Le Hamas au pouvoir : un gouvernement capitaliste, rentier et autoritaire, sous-produit de l’oppression israélienne

Le 25e anniversaire du Hamas en 2012 (source : wikipedia)

« Organisation terroriste » ? « Mouvement de résistance » ? Les débats médiatiques et politiciens évitent de désigner le Hamas pour ce qu’il est avant tout : un parti politique de gouvernement, au pouvoir dans le territoire palestinien de la bande de Gaza. Et comme n’importe quel parti de gouvernement dans le monde, il agit chaque jour contre des intérêts de la majorité de la population, avec dans son cas une dimension particulièrement réactionnaire.

Comment comprendre que ce parti religieux réactionnaire soit à la tête du territoire de misère opprimé par l’État d’Israël qu’est Gaza ? Comment comprendre son accession au pouvoir dans le contexte de cette oppression et du jeu des grandes puissances, qui ont tout fait pour écraser le mouvement palestinien et l’enfermer dans un ghetto ?

Quelles peuvent être les perspectives des classes laborieuses gazaouies soumises à la fois à son pouvoir et à l’oppression israélienne ?

Il est si facile aujourd’hui à nos politiciens de droite comme de gauche d’en tirer prétexte pour, une fois de plus, justifier les bombes sur Gaza, en oubliant où sont les responsabilités. Nous sommes pour notre part, entièrement solidaire du peuple de Gaza face à cette guerre que lui mène Israël avec l’appui des Biden et Macron.

Oppression israélienne et dictature du Hamas : le quotidien des Gazaouis

Le 27 juillet dernier, un habitant de la ville de Khan Younis, Shadi Atiya Abu Qouta, a été tué par un bulldozer lors de la démolition de sa maison, ordonnée par la municipalité afin d’élargir une route. Cette maison se trouvait dans un quartier de réfugiés, accueillant les populations chassées par les sionistes en 1947-1948, à la création de l’État israélien, et lors de leurs offensives ultérieures. À l’intérieur de la prison à ciel ouvert qu’est la bande de Gaza, ces camps de réfugiés concentrent une misère plus grande encore.

Trois jours plus tard, à l’appel d’un compte Instagram anonyme, « Le virus de la dérision » (al-Virus al-sakher), aujourd’hui supprimé, des milliers de manifestants et manifestantes sont descendus dans les rues des principales villes du territoire. Au-delà de ce meurtre « accidentel », les mots d’ordre dénonçaient la taxe de 15 dollars imposée sur les allocations de 100 dollars versées par le Qatar aux familles les plus pauvres ou encore les coupures d’électricité et de gaz à répétition.

La bande de Gaza ne dispose que d’une centrale électrique, dont seuls trois réacteurs sur quatre étaient exploités, le reste de l’électricité étant fourni par l’État d’Israël, avec de nombreuses restrictions. Suite aux manifestations, le Qatar a pris en charge le lancement du quatrième réacteur, permettant à la population de disposer de quelques heures d’électricité en plus par jour.

Mais une telle mesure ne change en rien la situation structurelle de la population. La mobilisation de l’été 2023 n’était pas la première : en avril 2015, janvier 2017 et mars 2019 – alors que l’Autorité palestinienne de Cisjordanie avait elle-même demandé à l’État israélien de réduire la fourniture d’électricité à Gaza –, des manifestations de milliers de Gazaouis contre la hausse des prix avaient déjà eu lieu et s’étaient achevées par des centaines de blessés et d’arrestations.

En 2019, les initiateurs des campagnes nommées « La révolte des affamés » et « Halte aux hausses de prix » avaient été arrêtés, torturés et emprisonnés à quelques jours de la manifestation à laquelle ils appelaient. Cela n’avait pas empêché la mobilisation, notamment dans des camps de réfugiés comme Jabalya, Deir al-Balah ou al-Boreij, ou dans les villes comme Rafah. Elle avait été reçue par les grenades assourdissantes, gaz au poivre, passages à tabac et même les tirs à balles réelles de la police, ou « forces de sécurité », du Hamas.

Voilà ce qu’était le lot quotidien des militants et militantes qui osaient exprimer leurs critiques contre son gouvernement.

La misère pour les uns, l’argent du Qatar pour les autres

Bien évidemment, la première cause de la misère pour les 2,3 millions de Palestiniens et Palestiniennes vivant dans les 360 km2 de la bande de Gaza, est la politique israélienne, avec son blocus, ses bombardements et ses incursions militaires. Les permis de travail pour se rendre en territoire israélien sont quasi inexistants (seulement 17 000 avant les événements récents), le chômage atteint 45 % et même 70 % chez les jeunes, 80 % des eaux souterraines sont détournées en amont par les Israéliens… Avec un revenu moyen de 20 shekels (moins de 5 euros) par jour, 70 % de la population touche une aide alimentaire versée par des ONG ou directement par le gouvernement du Qatar.

Avec l’accord du gouvernement hébreu, la monarchie du Golfe verse chaque mois au gouvernement du Hamas 30 millions de dollars pour financer les salaires des fonctionnaires, les infrastructures, les aides sociales… Des fonds bien insuffisants pour investir dans des activités productives qui permettraient à un territoire aussi petit, dépourvu de ressources et coupé du reste du monde, d’entrevoir un début de développement économique… mais suffisants pour assurer le train de vie des dirigeants.

Voilà ce qu’est véritablement le Hamas au pouvoir : un petit appareil d’État rentier, dont les dirigeants trouvent leur compte à la situation, qui n’ont aucun intérêt à ce qu’elle change en profondeur, qui n’hésitent pas à écraser la population par leur politique d’austérité et de répression… Mais qui doivent néanmoins continuer à donner des gages de « résistance » pour ne pas perdre définitivement la légitimité qui leur reste.

Des origines à la victoire électorale de 2006

Car c’est bien en se présentant comme une force de lutte sans concession contre l’État sioniste que le Hamas s’est construit à partir de la fin des années 1980.

Le mouvement national palestinien auquel le Hamas s’est opposé, s’était développé dans les années 1960 et 1970, lorsqu’une jeune génération inspirée par le nationalisme arabe et les luttes anticolonialistes, avait pris les armes pour organiser la résistance sans compter sur les gouvernements arabes voisins et avait fondé l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et sa principale composante, le Fatah. Le parti de Yasser Arafat avait alors acquis un prestige immense aux yeux de la population palestinienne, comme à l’échelle internationale parmi les peuples dominés et dans de nombreux mouvements anti-impérialistes. Il n’en restait pas moins un mouvement qui ne cherchait pas à mettre en mouvement la majorité de la population, ne lui donnait pas comme perspective la fin de l’exploitation, mais visait à confier le pouvoir à une bourgeoisie nationale qui assurerait l’indépendance de l’État…

Or, même cette promesse s’est considérablement écornée lorsque les accords d’Oslo de 1993, signés par Arafat, ont à la fois abandonné le sort des réfugiés, reconnu les colonies israéliennes au-delà même des mandats de l’ONU et transformé l’OLP en appareil d’État, l’Autorité palestinienne, chargée de faire la police à la place de l’État israélien.

Le Hamas a été fondé en 1987 sous l’impulsion des Frères musulmans égyptiens qui, depuis le début de la décennie avaient envoyé des représentants à Gaza, où ils tentaient de disputer l’influence de la gauche nationaliste, sous l’œil bienveillant des autorités israéliennes et de l’impérialisme américain. La période était favorable aux mouvements politiques se réclamant de l’islam, après la révolution iranienne de 1979 qui avait montré que de tels courants pouvaient prétendre à la prise du pouvoir.

La croissance du Hamas a enfin été accélérée par la trahison d’Oslo et ses conséquences, puis par la révolte palestinienne de 2000, la seconde Intifada. La première Intifada, à partir de la fin de l’année 1987, avait été caractérisée par des affrontements directs entre une jeunesse équipée de pierres et la puissante armée israélienne, par l’auto-organisation, par une importante présence des femmes…

La seconde, au début des années 2000, après des manifestations à Jérusalem et dans les territoires palestiniens, a surtout été marquée par les attentats-suicides organisés par le Hamas et, dans une moindre mesure, son rival du Djihad islamique, contre l’État d’Israël, y compris sa population civile.

Ces actions, outre qu’elles entretenaient le discours anti-palestinien dans la société israélienne et parmi les soutiens impérialistes à l’État sioniste, n’entraînaient pas la population palestinienne derrière elles. Mais elles ont bien permis au Hamas de récupérer la place laissée vacante par l’OLP et le Fatah, celle d’une force de résistance intransigeante, bien loin des compromissions et de la corruption de l’Autorité palestinienne. C’est bien pour avoir occupé cette place et non pour son programme religieux obscurantiste, que le Hamas a gagné en popularité, notamment dans la bande de Gaza.

Après la mort d’Arafat en 2004, c’est son héritier naturel, le « numéro deux » du Fatah, Mahmoud Abbas, qui a été élu président de l’Autorité palestinienne. Abbas était tout aussi lié qu’Arafat à la trahison d’Oslo, mais il ne bénéficiait pas de la légitimité historique qui avait permis à ce dernier de se maintenir au pouvoir malgré tout. Et c’est assez logiquement que le Hamas a gagné les élections législatives de 2006, créant une situation de cohabitation, très provisoire, à la tête de l’appareil d’État.

Le Hamas au pouvoir

La rupture a vite eu lieu. Depuis 2007, Abbas et le Fatah contrôlent la partie non colonisée de la Cisjordanie, et le Hamas la bande de Gaza, évacuée par le Premier ministre israélien Ariel Sharon en 2005. Un partage des terres issu de la quasi guerre civile qui a opposé les deux partis après les élections de 2006, chacun se prévalant d’une légitimité électorale très controversée pour capter les financements internationaux : le Fatah ayant déjà l’essentiel de l’appareil administratif en main et le soutien des gouvernements israélien, américain et européens pour diriger les enclaves palestiniennes de Cisjordanie, aux côtés de l’armée d’occupation… Tandis que la bande de Gaza pouvait bien être laissée à son sort. Depuis, la colonisation de la Cisjordanie s’étend encore et encore… Tandis que la bande de Gaza, sous blocus depuis 2010, est la cible de fréquents raids meurtriers. Le gouvernement israélien se délecte de cette division et l’entretient, y compris en permettant le financement du gouvernement Hamas de Gaza.

Les élections générales prévues en 2021 ayant été reportées sine die, les deux pouvoirs se maintiennent en se réclamant de légitimités électorales respectivement vieilles de 18 et 17 ans. Les deux mouvements rivaux, nés de la résistance et y ayant acquis une légitimité populaire bien écornée aujourd’hui, n’ont jamais proposé de perspective réellement émancipatrice. Au pouvoir, ils ont dévoilé leur vrai visage, celui de partis bourgeois, antidémocratiques, au service d’une minorité d’exploiteurs prêts à s’accommoder de l’oppression de leur peuple.

Les dénoncer pour ce qu’ils sont ne nous mène pas à les renvoyer dos à dos avec l’État colonialiste d’Israël, qui est bien la force dominante à l’origine même de cette oppression. Mais ni le programme politique du Fatah, ni celui de son concurrent islamiste ne permettront aux classes populaires palestiniennes de s’en émanciper.

En mai 2021, la « grève pour la dignité » a montré une perspective bien différente : cette grève générale lancée par des comités populaires et organisations de la jeunesse, suite à une attaque israélienne sur Gaza ayant fait plus de 200 morts et en pleine vague d’agressions anti-palestiniennes à Jérusalem, a pour la première fois été suivie à la fois à Gaza, en Cisjordanie, par les réfugiés des pays voisins et par les travailleurs et travailleuses arabes d’Israël. Elle ouvrait un tout autre horizon. Pour combattre l’État sioniste, la classe laborieuse palestinienne ne pourra jamais compter que sur ses propres forces, sur son unité et sur le soutien des exploités du monde entier. Ni les divisions territoriales, ni les rivalités entre partis de gouvernement, ni l’hostilité des autres États ne sont venues à bout de ces armes-là !

Jean-Baptiste Pelé

 

 


 

 

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